Un doublé convaincant

C’est surtout avec la parution des romans de Jacques Savoie (Une mort honorable) et de Mario Bolduc (La nuit des albinos) que la collection « Expression noire » est apparue sur les écrans radar, quelque part en 2012. Puis quand, un peu plus tard, Geneviève Lefebvre, Laurent Chabin et Hervé Gagnon se sont joints à eux comme plusieurs autres pour former une solide écurie, on a saisi qu’une véritable collection se développait sous nos yeux.
Souvent ancrée dans la réalité d’ici — même quand on nous y fait plonger dans le Montréal de la fin du XIXe siècle, dans une petite île de la côte ouest ou encore dans la moiteur de la Tanzanie —, solidement appuyée sur des écritures affirmées, dérangeantes même, comme dans la plus récente parution de Laurent Chabin, la collection « Expression noire » surprend déjà par la qualité et l’audace de ses propositions. On ne peut que s’en réjouir.
Signé Ku Klux Klan
C’est ainsi qu’avec la deuxième aventure du journaliste Joseph Laflamme, pigiste au Canadien, Hervé Gagnon nous amène encore, avec Jeremiah, dans le Montréal de la fin du XIXe siècle, au moment où un horrible assassinat portant la signature du Ku Klux Klan est commis dans le bas de la ville. Un Noir a été torturé et battu à mort avant d’être carrément pendu au milieu de l’église Sainte-Cunégonde. Tout Montréal aura à peine le temps de l’apprendre par les bons soins de Laflamme, qui réussit à examiner les lieux du crime malgré l’interdiction qui lui est faite par la police, qu’un deuxième meurtre portant la même signature ensanglante la gare de la Grand Trunk Railway. La communauté noire panique et la police est sur les dents.
Gagnon ne craint pas les défis ; l’an dernier, avec Laflamme et l’inspecteur Arcand de la police montréalaise, c’est Jack l’Éventreur lui-même qu’il traquait à la suite de meurtres sordides survenus dans le quartier des « filles », près du port et du boulevard Saint-Laurent. Voici maintenant que les deux complices sont sur la trace d’un magot caché 25 ans plus tôt dans une banque de Montréal par John Wilkes Booth, l’assassin du président américain Abraham Lincoln. Ils ne sont toutefois pas les seuls à convoiter le trésor et la traque les mènera encore une fois près du Temple maçonnique et de ses nombreux secrets… suivis par ce mystérieux Jeremiah qui donne son titre au livre et dont on n’apprendra l’identité qu’à la toute fin de l’aventure. Un bouquin captivant que l’on dévore malgré quelques longueurs au début et de rares tics d’écriture.
Improbable héroïne
L’écriture, c’est par contre ce qui frappe le plus dans Quand j’avais cinq ans je l’ai tué ! de Laurent Chabin. Livre étonnant mettant en scène un personnage totalement amoral, Lara Crevier, cet ouvrage déroutant est tout aussi inclassable que séduisant. À cause de ce personnage de Lara d’abord — libre-penseuse, anarchiste érotophile d’une sensualité inhabituelle — qui se mettra à enquêter, poussée par son amant, sur un passé d’enfant battue et abusée qu’elle avait presque totalement effacé jusque-là. Mais aussi parce que cette histoire entrompe-l’oeil est basée sur le faux. Comme dans faux tableaux. Comme dans fausses apparences aussi sur fond de réalité sordide.
On vous prévient, vous n’avez jamais rien lu qui ressemble aux 100 premières pages de ce livre tellement le personnage de Lara et son appétit de vivre prennent toute la place. Par contre, la sauce se dilue un peu par la suite, alors qu’elle tente de démêler le vrai du faux, et la confusion remplace bientôt la séduction. Jusqu’au choc final… qu’on ne dévoilera évidemment pas ici mais qui vous jettera par terre. Il y a dans ce livre des pages fulgurantes d’une sensualité hors du commun qui donnent le goût de lire tout ce que Laurent Chabin a écrit jusqu’ici.
Les deux auteurs seront en séance de signatures au Salon du livre de Québec les samedi 11 et dimanche 12 avril.