Négritude contagieuse

L'orateur Stokely Carmichael s'est illustré au Congrès des écrivains noirs, qui s'est tenu en octobre 1968 à McGill.
Photo: Archives L'orateur Stokely Carmichael s'est illustré au Congrès des écrivains noirs, qui s'est tenu en octobre 1968 à McGill.

Trois ans avant la mort d’Aimé Césaire (1913-2008), l’intellectuel québécois de souche jamaïcaine David Austin interviewa le poète martiniquais, qui lui dit que l’éveil au Québec de la conscience identitaire par l’indépendantisme l’impressionnait beaucoup. Aujourd’hui, dans un essai, il souligne que l’étonnante formule « nègres blancs », chère à Pierre Vallières, n’est pas étrangère au concept de négritude que Césaire élabora au-delà des couleurs de la peau.

Intitulé Nègres noirs, nègres blancs, l’ouvrage touffu mais fascinant d’Austin analyse la conscience identitaire, les rapports entre les hommes et les femmes ainsi que les revendications politiques chez les Montréalais d’ascendance africaine, dans les années 1960, en établissant un parallèle avec les Canadiens français qui commençaient alors à se définir comme Québécois tout court. L’auteur s’inspire de deux événements qui, selon lui, firent, pour un moment, de Montréal « l’épicentre du Black Power ».

Il pense au Congrès des écrivains noirs qui, en octobre 1968, réunit à McGill des militants canadiens, américains, caribéens, africains, où s’illustra en particulier l’orateur Stokely Carmichael, des Black Panthers. Il a aussi à l’esprit l’occupation, en janvier et février 1969, du centre d’informatique de l’Université Sir-George-Williams (un des ancêtres de l’Université Concordia).

Bras dessus bras dessous

 

Austin souligne le lien ténu mais réel entre le Black Power et l’aile la plus radicale du mouvement indépendantiste québécois. À la suite de leur arrestation en 1966 à New York, alors qu’ils manifestaient devant le siège de l’ONU pour sensibiliser l’opinion mondiale à l’oppression colonialiste subie depuis très longtemps par le Québec, Pierre Vallières et Charles Gagnon reçurent l’appui moral de Carmichael.

Au début de 1968, le leader noir américain leur dit, dans un télégramme, que le traitement qu’on leur inflige « n’est pas différent de ce que vivent partout et toujours les patriotes qui résistent à la tyrannie ». Au Manhattan House of Detention for Men, où étaient emprisonnés avec lui de nombreux Noirs, Vallières avait écrit, à la fin de 1966, Nègres blancs d’Amérique, essai utopiste consacré à son combat contre la servitude sociopolitique des Québécois.

La négritude blanche définie par l’indépendantiste contribue, en 1969, à forger la solidarité que des militants blancs témoignent aux étudiants noirs de Sir-George-Williams. Austin signale qu’à l’époque « Montréal reste une exception en Amérique du Nord, car on y voit souvent des Noirs et des Blanches se promener bras-dessus, bras-dessous ».

N’y sent-on pas, pour reprendre les mots de Césaire, que l’« ancestrale cornée blanche » du nègre universel est commune à tous les êtres humains ? Si la peau diffère souvent, le regard peut toujours unifier.

Nègres noirs, nègres blancs. Race, sexe et politique dans les années 1960 à Montréal

David Austin, traduit de l’anglais par Colette St-Hilaire avec la collaboration de Véronique Dassas, Lux, Montréal, 2015, 296 pages

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