Faire éclater les murs de la bibliothèque

La nouvelle présidente-directrice générale de BAnQ, Christiane Barbe, rêve de faire de l’institution « une grande cathédrale du savoir numérique ».
Photo: Annik MH De Carufel La nouvelle présidente-directrice générale de BAnQ, Christiane Barbe, rêve de faire de l’institution « une grande cathédrale du savoir numérique ».
Christiane Barbe est devenue discrètement cet été la nouvelle présidente-directrice générale de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui inclut la Grande Bibliothèque (GB), la plus grande bibliothèque, le nom le dit, du Québec. À nouvelle direction, nouvelle vision. Le Devoir est allé rencontrer celle qui se donne « cinq ans pour préparer BAnQ à devenir une institution de troisième génération ». Discussion.​
 

Voilà trois mois qu’elle est entrée en poste, le temps de prendre le pouls du navire qu’elle devra diriger, succédant à la fondatrice Lise Bissonnette (1998-2009) et à Guy Berthiaume (2009-2014). Un gros bateau de livres, d’histoire et de documents, à la fois la bibliothèque nationale, bibliothèque publique de Montréal et archives nationales, tenu à flot par quelque 700 employés. Voilà le temps, une fois la main faite à la barre, de faire connaître ses ambitions. C’est-à-dire ? « Préparer BAnQ à prendre le tournant des années 2020 en force et en santé financière », et passer à la 3e génération de bibliothèque.

« À la première génération, précise Mme Barbe, qui reçoit Le Devoir dans son bureau suspendu au-dessus des immenses salles de la GB, on acquiert, on traite, on conserve, on diffuse : c’est le rôle traditionnel de la bibliothèque. À la 2e génération, on fait de la médiation, pour permettre à l’usager de voir un univers plus grand, l’emmener vers la lecture, la culture et le savoir. À la 3e génération, il faut faire éclater ça à travers la distance : avec le numérique, rendre les livres et les archives partout en région, afin que BAnQ soit accessible en un clic. Faire rayonner notre culture partout au Québec, et la mettre à la disposition de l’ensemble de la planète. » Bref, faire éclater, littérairement cette fois, les murs de la bibliothèque.

Outils

 

Pour y arriver, Mme Barbe entend accélérer le virage numérique, en utilisant les 5,25 millions accordés sur deux ans par la ministre de la Culture, Hélène David, annoncés il y a quelques semaines dans le cadre du Plan culturel numérique du Québec. « On va acquérir des numériseurs — on a des cartes géographiques, des photos, des bandes sonores à numériser — et accélérer la cadence », car un très petit pourcentage des documents et archives a déjà été dématérialisé. Ensuite, améliorer les interfaces, afin que l’accès soit plus aisé, pour tous. « Pour l’exposition des photos de Gabriel Desmarais [Gaby], on a numérisé 23 000 photos, illustre la directrice, mais via notre application Pistard, présentement sur Internet, on ne peut voir qu’une photo à la fois. Ce n’est pas convivial. Il faut avoir accès à des diaporamas, et que ce soit non pas seulement accessible, mais facilement accessible, et bien organisé. Je rêve d’une BAnQ numérique, d’une grande cathédrale du savoir numérique, comme Gallica [la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France], mais en plus avancée. »

Et entre les murs réels, rue de Maisonneuve à Montréal, qui abritent la GB ? Le réaménagement du rez-de-chaussée fait partie des améliorations à venir. « Le rez-de-chaussée est beaucoup un lieu transactionnel actuellement. Ce devrait être un lieu où le citoyen vient s’informer, échanger, se former. Ça fait 10 ans que la GB est ouverte, elle a reçu à peu près le double de personnes attendues. Le bâtiment connaît une usure prématurée : il faut l’entretenir et faire évoluer nos instruments de travail. Le succès commande un réaménagement du rez-de-chaussée. On pourrait penser à des bornes interactives pour les emprunts — que l’usager soit plus autonome, qu’il y ait moins de files d’attente — plus de confort — des fauteuils, du rayonnage attirant, des livres dont on expose les couvertures plutôt que les épines — des tablettes électroniques… »

Archives et partenaires

 

Celle qui, comme lectrice, est fan de Marie Laberge, Ken Follet, Fred Pellerin, amateur de grands romans historiques, marquée par Les rois maudits de Maurice Druon, fera naître aussi un nouvel espace pensé pour les 13 à 17 ans, le public le plus difficile à attirer en bibliothèque. Ce « médialab », qui sera aussi virtuel, offrira des outils (imprimantes 3D, ordinateurs) où les jeunes pourront explorer diverses technologies, essayer, jouer, « écrire une bédé, faire du rap, des romans, à partir d’ici ou de Chibougamau, à partir de leurs lectures ».

En discussion, Mme Barbe démontre une grande maîtrise du langage propre à la diplomatie culturelle, avec ses flous artistiques et son sabir, ramenant la conversation systématiquement sur les chemins pavés, ou éludant avec grâce certaines problématiques. Auparavant haute fonctionnaire, sous-ministre à la Culture, sous-ministre à l’Éducation, elle a oeuvré, dans l’ombre, au développement culturel, à l’installation de la compagnie Marie Chouinard avenue de l’Esplanade, à la planification de la Maison smphonique, à la coordination de Montréal métropole culturelle 2007 et à la gestion des archives nationales, qu’elle dit avoir « tatouées sur le coeur ». Ainsi, pas de position sur la « vision » fédérale de la gestion des archives, et plus largement sur les difficultés actuelles à construire des fonds, Mme Barbe semblant s’appuyer essentiellement sur le bon vouloir d’autrui. « En ce moment, les gens sont généreux, on a des dons extraordinaires qui nous sont faits. Je suis à regarder l’opportunité de voir si en des cas exceptionnels on peut acquérir certains dons d’archives. »

Pour obtenir les moyens de ses ambitions, Christiane Barbe aimerait « associer le monde des affaires ». Aller vers des partenariats public-privé ? « Non, mais c’est intéressant. Plutôt, pour acquérir des murs numériques ou un comptoir interactif, peut-être que le privé pourrait s’associer ? Je ne parle pas de publicités, mais d’une visibilité qui nous permettrait d’avoir accès à d’autres instruments. Ça multiplierait nos capacités. Ce serait fantastique de maintenir BAnQ comme institution innovante et créatrice, avec tous ceux qui veulent s’associer à nous — pourquoi pas ? — et faire grandir cette institution. »

BAnQ en cinq dates

1996 : Le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal se penchent sur l’idée de reloger ensemble la collection de diffusion de la Bibliothèque nationale du Québec et la collection de la Bibliothèque centrale de Montréal, qui manquent d’espace. Clément Richard est nommé par le gouvernement pour analyser la possibilité de créer une grande bibliothèque publique au Québec.
 
1998 : En juin, après des audiences publiques, le gouvernement opte pour le site du Palais du commerce comme futur site et l’Assemblée nationale adopte unanimement la loi constituant la Grande Bibliothèque du Québec. Madame Lise Bissonnette, ex-directrice du Devoir, devient en août présidente-directrice générale.
 
2001-2004 : La Grande Bibliothèque est construite boulevard de Maisonneuve à Montréal.
 
2005 : Le 30 avril, ouverture.
 
2009 : Le 22 juin, Guy Berthiaume entre en fonction comme président-directeur général.


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