Qui en dit quoi?

Différents joueurs de la chaîne du livre au Québec et certains maillons qui en sont exclus se prononcent sur la nécessité de la protéger. Commentaires.
Élise Bergeron, pour l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ)
Il suffit de regarder le chemin parcouru depuis 33 ans pour constater que la loi 51 et la chaîne du livre contribuent à la diversification de la production littéraire. L’UNEQ croit que la loi 51 doit non seulement être protégée, mais renforcée pour le bien de tous les maillons ; elle doit également être actualisée afin de combler le vide juridique entourant le livre numérique.
Richard Prieur, directeur général de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)
Dans la chaîne papier, les acteurs actuels jouent tous un rôle utile et essentiel. Certains fans de l’autoédition contestent la nécessité de l’éditeur, des revendeurs contestent l’utilité du distributeur. Le vieux dicton dit : cherchez l’intérêt et vous trouverez le mobile. La disparition d’un acteur pour un plus grand partage des revenus serait une solution de courte vue. On constate que, même dans le numérique, le rôle de distributeur et de diffuseur est nécessaire. Les appellations changent, mais les fonctions demeurent.
On doit éviter de bousculer sauvagement cet équilibre, mais on ne doit pas pour autant éviter toute discussion. Des mécanismes devraient être mis en place pour assurer une modernisation des pratiques. Mais la loi du livre, avant d’être révisée, devrait au moins jouir d’une application plus stricte. Le législateur s’est-il vraiment donné les moyens d’une surveillance plus rigoureuse ?
Bref, toute révision de la loi du livre (introduction du numérique, révision des rôles, etc.) devrait être un exercice auquel tous sont appelés à participer, expurgée d’abord de toute velléité de servir des intérêts particuliers, mais fondée sur une évaluation objective de tous les acteurs.
Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ)
La loi 51 a participé grandement à l’augmentation du nombre de librairies agréées au Québec, qui est passé de 168 en 1983 à 218 en 1998. Son nombre aujourd’hui est de 192, une diminution de 12 % depuis 1998. La loi a aussi permis l’essor de l’édition au Québec : le nombre d’éditeurs agréés est passé de 70 en 1983 à 113 en 1998. Il y en a 173 aujourd’hui. Évidemment, le nombre de nouveaux titres édités a suivi, passant de 1144 en 1983 à 2829 en 1998 et à 6564 en 2011.
Le Règlement sur l’acquisition de livres par certaines personnes dans les librairies agréées stipule que le prix de vente d’un livre canadien doit être déterminé en utilisant le prix de catalogue ou le prix net de l’éditeur ; le prix de vente d’un livre étranger soumis à une exclusivité au Canada doit être libellé en monnaie canadienne en utilisant le prix de catalogue ou le prix net canadien fixé par le distributeur exclusif. Ce règlement a permis de fixer les taux de remise entre intermédiaires, détaillants et acheteurs, mais leur esprit a favorisé un environnement où les négociations de remise demeurent modérées, même dans le réseau de la grande diffusion qui ne semble pourtant répondre à aucune règle extérieure. Malgré certaines pratiques qui veulent que toute remise en grande diffusion soit négociable, celle-ci n’a pas connu au Québec la même inflation que celle qu’on a connue dans les autres provinces canadiennes. Ainsi, la loi 51 et les Règlements qui l’accompagnent ont constitué et constituent toujours des outils de stabilisation de la filière du livre et ont mis les distributeurs à l’abri d’une excessive course aux surremises.
Le distributeur et le diffuseur (parfois des rôles joués par la même entreprise) effectuent pour les libraires un travail essentiel. C’est lui qui envoie des représentants à la rencontre des libraires, c’est lui qui coordonne la promotion des livres et s’occupe de la logistique. En représentant plusieurs éditeurs sous un même toit, il permet essentiellement de regrouper les achats pour les libraires, qui ne voudraient pas ouvrir 200 comptes (et plus) auprès de tous ces éditeurs.
La loi 51 permet aussi aux librairies agréées de vendre aux collectivités (les bibliothèquesmunicipales et scolaires). C’est un marché qui permet à plusieurs d’entre elles d’être encore ouvertes. Si ce marché n’était plus réglementé, ce serait l’hécatombe assurée.
Stéphane Legault, président de l’Association des bibliothèques publiques du Québec
En 2012, selon les données de StatBib, les bibliothèques publiques (j’inclus ici les bibliothèques autonomes, les Réseau BIBLIO et BAnQ) ont dépensé environ 32 608 000 $ en acquisition de livres imprimés et numériques. Il est plus que pertinent que cet argent soit réinvesti au Québec, via les librairies, les maisons d’édition et les distributeurs, plutôt que de le verser directement dans des poches étrangères. La chaîne du livre a un impact important sur l’économie québécoise (emplois, locaux, imprimeries, etc.) et a aussi un impact majeur sur la vitalité culturelle. Elle contribue grandement à la diffusion et à la promotion de la culture québécoise et à la préservation de notre identité. La diversité des contenus en bibliothèques et librairies contribue à l’ouverture sur le monde et à l’acquisition de nouvelles connaissances des citoyens québécois.
Les bibliothèques publiques utilisant la plateforme PRETNUMERIQUE.CA et faisant l’acquisition de livres numériques achètent leurs livres par l’entremise des librairies agréées, et ce, dans le respect de l’esprit de la loi 51, toujours pour favoriser la bibliodiversité. D’autres scénarios auraient pu être adoptés, mais tous les acteurs de la chaîne du livre se sont entendus pour préserver le modèle actuel.
Il faut être biblio-responsable, au nom de l’accès au livre, à la connaissance et à l’information, peu importe où nous nous trouvons au Québec. 95 % des Québécois ont accès à une bibliothèque publique, souvent gratuitement.
Marie Brassard, fondatrice de l’Alliance québécoise des éditeurs indépendants (AQEI), qui compte quelque 125 éditeurs professionnels non subventionnés
Entre le client et l’éditeur, le distributeur et le libraire occupent un espace de commercialisation essentiel. À titre d’éditeurs indépendants, nous avons été très longtemps exclus de cette chaîne. Actuellement, l’AQEI peut introduire sur le marché une vingtaine de nouveautés chaque mois. Même si deux intermédiaires conservent leur marge respective, les éditeurs indépendants ont appris à budgéter mieux, sans compter sur les subventions, afin de rentabiliser leurs productions.
Lorsque je lance un roman en tant qu’éditrice indépendante, j’ai besoin d’un distributeur efficace et d’un réseau de librairies pour proposer mes titres à leurs lectorats. Je peux utiliser un mix média pour signaler l’intérêt de mes sujets, faire connaître mes auteurs, optimiser les ventes directes en numérique ou sur le Net et multiplier les événements comme les présences dans les salons du livre, mais le lecteur se trouvant partout, la commercialisation directe ne sera pas aussi efficace que le réseau structuré qui existe maintenant au Québec.
Le réseau distributeurs-librairies pourrait être amélioré afin que les éditeurs ne souffrent pas d’interminables délais de compensation. Avec les outils de gestion des données, il demeure ahurissant que le livre que le client a acquis chez son libraire préféré le 2 juillet au coût de 20 $ ne soit crédité à l’éditeur qu’en novembre pour un total de 8,60 $.
Pour l’AQEI, la bataille de l’équité se trouve davantage sur les processus restrictifs créés par l’agrément. Les éditeurs sont des entreprises qui devraient assumer sans subvention la mission qui est la leur, à savoir contribuer à la culture en publiant des livres de qualité. L’intervention des deux ordres de gouvernement dans ce processus exclut les petits éditeurs en les empêchant de devenir des acteurs à part entière de la bibliodiversité. Le processus d’agrément des éditeurs tel qu’il est géré actuellement nous discrimine.
Serge-André Guay, président-éditeur de la Fondation littéraire Fleur de Lys
Alors que de plus en plus de retraités diplômés au cours de la Révolution tranquille s’adonnent à l’écriture et y investissent temps et argent comme dans tout autre loisir, le portrait réel du livre québécois change.
La loi 51 exclut tous les éditeurs exclusivement numériques (« pure player »), de plus en plus nombreux sur le Web. Elle exclut aussi tous les éditeurs optant pour l’impression papier à la demande, avec pour seul point de vente le Web.
Pris au piège de sa loi du livre, unique au monde, le gouvernement du Québec est forcé de limiter son action à une évolution de l’industrie traditionnelle en la doublant d’une version numérique. Or, le nouveau monde du livre s’inscrit dans une révolution, et non pas une simple évolution. Ainsi, les auteurs et leurs lecteurs peuvent désormais se passer de l’industrie traditionnelle du livre.
L’Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française (ADELF) n’a pas répondu aux questions du Devoir avant l’heure de tombée.