Le poison et la médecine

Plus qu’à la lune, Diamanda Galás hurle à l’enfer. Pianiste vocaliste, elle rage sur trois octaves et demie, multiplie son cri, déforme les convenances, puise dans la mélopée ancienne pour créer le futur, milite artistiquement pour les laissés-pour-compte et travaille sur le malaise qui peut se transformer en extase. L’essayiste et romancière Catherine Mavrikakis lui rend ici hommage dans une forme hybride. Et son livre pose également un regard lucide sur la quête identitaire.
L’auteure est née d’un père grec et n’a appris que très peu de choses de son pays d’origine. Elle porte néanmoins le même nom qu’une grand-mère qu’elle n’a pas connue, mais qui lui rappelle quelque chose qu’elle ressent et dont elle ne connaît pas le sens. De son côté, Diamanda Galás avait pour père un professeur de mythologie grecque qui lui a donné le goût de la Grèce ancienne. Si elle a refusé de se fondre dans le rêve américain, peut-elle appartenir à un lieu ? Sans doute pas.
Je reconnais n’avoir jamais lu Mavrikakis auparavant et, curieusement, ce livre m’a ramené à une partie de mon histoire personnelle. Ma mère vouait une grande admiration à son grand-père Alexandre Carli, véritable héros familial et réputé sculpteur spécialisé dans les oeuvres religieuses. Qui était-il vraiment ? Comment a-t-il réussi à inculquer à ses descendants un goût prononcé pour la culture italienne tout en s’identifiant pourtant au caractère francophone de la ville ? L’ouvrage de Mavrikakis suggère ce genre de questions.
L’auteure a vécu les années sida. Elle ouvre le livre en rappelant ce fléau qui a fauché une culture à laquelle elle croyait. Galás a placé ce malheur et plusieurs autres au-devant de son ivresse créatrice : « Chez Galás, écrit Mavrikakis, le féminin s’affirme dans une connaissance intime de la douleur, de la colère et de l’émotion. Il ne saurait y avoir de féminisme, ou même plus largement d’humanisme ou d’humanité, sans hystérie, sans ce féminin de la démesure, dionysiaque, si proche des bacchanales », poursuit celle qui est également professeure en littératures de langue française à l’Université de Montréal.
Elle termine avec un chapitre sur les stridences qui sous-tendent la nécessité politique et esthétique du partage d’un certain inconfort dans l’art de Galás. La diva hors norme a travaillé sur la puissance primitive de la tragédie, jusqu’à l’enfermement et l’humiliation : une approche créée à la fois comme poison et possible médecine, mais qui n’est pas dénuée de sacré. Si l’art peut paraître sordide chez cette pleureuse enragée, il peut aussi devenir le véhicule d’une force lumineuse. Nécessaire.