Libération et laïcité

Parmi les réflexions que le débat québécois sur la laïcité a suscitées et qu’il suscitera même après la récente accession des libéraux au pouvoir, celle de Gabriel Nadeau-Dubois, figure du printemps érable, continuera de briller. Selon lui, « la défense du droit individuel à porter un signe religieux a bien davantage alimenté que contredit » les idées des péquistes, plus soucieux d’électoralisme que de libération collective.

 

Le jeune intellectuel définit le débat comme l’opposition exacerbée entre le « je » myope des individualistes intransigeants et le « nous » « pessimiste et rigide » du gouvernement de Pauline Marois, éloigné d’un « nous » « positif et tourné vers l’avenir ». Un des 27 collaborateurs de L’urgence de penser, ouvrage sur la laïcité québécoise publié sous la direction de Jonathan Livernois et Yvon Rivard, il exprime de façon exemplaire la pertinence du titre.

 

Bien comprise, la laïcité est une idée progressiste, tolérante, rassembleuse. Pour Nadeau-Dubois, en déformant cette notion au lieu de l’intégrer à « une posture indépendantiste » axée sur le « progrès social », le dernier gouvernement péquiste s’est réfugié « sur le terrain glissant des revendications identitaires ». L’observateur de gauche ne craint pas de qualifier cette attitude de « conservatisme ringard ».

 

Il vise juste. En voulant attirer vers lui l’électorat de droite vaguement nationaliste, non indépendantiste et susceptible de voter pour la Coalition avenir Québec, le Parti québécois refuse d’être attentif à la convergence progressiste qui émane des couches les plus dynamiques de la société.

 

Religion et ruse politique

 

Autre collaborateur de L’urgence de penser, l’essayiste Jacques Pelletier a la perspicacité de décortiquer la stratégie faussement laïciste qui consiste, au nom de l’égalité des hommes et des femmes, à exploiter la peur de l’immigration afin d’éveiller un sentiment national plus défensif que constructif. La ruse cousue de fil blanc n’a pu que profiter aux libéraux, tournés vers un individualisme éloigné à la fois de la solidarité sociale et de l’essor d’une culture commune.

 

Publié sous la direction de Marie-Claude Haince, Yara El-Ghadban et Leïla Benhadjoudja, Le Québec, la Charte, l’Autre. Et après ? (Mémoire d’encrier) réunit huit femmes intellectuelles qui soutiennent que ce drôle de laïcisme risque de mener à la discrimination. Enfin, le philosophe Bernard La Rivière a le mérite, dans Enfin la laïcité, de décaper le principe de la neutralité religieuse.

 

Il souligne que les travailleurs de l’État doivent, dans leur profession, refléter la laïcité au nom du bien commun. Si Nadeau-Dubois et Pelletier s’en prennent à l’arrière-pensée des péquistes, il réfute, avec autant d’à- propos, celle des défenseurs des accommodements en décelant dans leur attitude une intolérance cachée.

 

La Rivière explique : « Insister pour porter un hidjab dans la fonction publique, c’est lutter contre la laïcité, c’est vouloir que la religion soit la plus forte et détermine ce que sera la loi. » Son raisonnement, acceptable en France, l’est beaucoup moins dans les pays anglo-saxons, confrontés depuis des siècles à la diversitéreligieuse, surtout issue du protestantisme.

 

Et comme le Québec, on le sait, se trouve en Amérique du Nord, la laïcité reste donc, chez nous, un redoutable défi.

 Une communauté politique forte et confiante n’a pas peur d’accueillir en elle l’altérité, tout comme elle se permet de la critiquer lorsque cela s’avère nécessaire

L’URGENCE DE PENSER

Sous la direction de Jonathan Livernois et Yvon Rivard Leméac Montréal, 2014, 176 pages

27 QUESTIONS À LA CHARTE

Bernard La Rivière XYZ Montréal, 2014, 192 pages

ENFIN LA LAÏCITÉ

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