Les critiques des collégiens - Le désir de se perdre

En marge du Prix littéraire des collégiens, qui a couronné en mai dernier Guano, premier roman de Louis Carmain (Hexagone), il y a le prix des critiques des collégiens. En quelque 350 mots, les jeunes critiques participants résument, argumentent et pèsent à l’écrit un des cinq livres finalistes de cette édition du Prix des collégiens. Nous publions cette semaine les meilleurs textes — un par livre —, sélectionnés par Bruno Lemieux, professeur au cégep de Sherbrooke, Louise Gérin-Duffy, professeure à la retraite du collège Jean-de-Brébeuf, et Catherine Lalonde, journaliste responsable du cahier Livres du Devoir. Aussi, les portraits de certains membres du jury, croqués lors de la délibération à Québec par notre photographe Renaud Philippe.
S’il faut se perdre pour se retrouver, alors le désir de s’égarer ne devient-il pas l’essence même de l’aventure ? Ce besoin d’inconnu, de nouveauté et d’être étranger ne dépasse-t-il pas celui de s’installer, de connaître et d’être découvert ? Car la clé des tourments tient parfois dans un mystère irrésolu.
C’est sur un univers labyrinthique que Patrice Lessard ouvre les fenêtres de son dernier roman, Nina ; une intrigue complexe dans les rues pavées de Lisbonne. Si les personnages présentés enquêtent sur un frère disparu ou un flingue volé, le lecteur, lui, tente de résoudre les secrets des différentes narrations, des événements douteux et de l’énigme du roman lui-même (« Ce n’est pas un roman policier, dit alors Vincent, et il pensait qu’au fond toute cette histoire n’était qu’un tissu de mensonges et que ça ne servait plus à grand-chose de continuer à chercher. »). Décidément, on se sent dérouté, confus. Et si c’était le but ?
Patrice Lessard confronte les attentes du lecteur, les repousse, les dépasse. Il écrit d’un souffle, insérant les dialogues à même la narration, qui se partage entre Vincent, Gil et un homme laissé anonyme.
Les personnages vivent tous leur période lisboète différemment, mais se retrouvent, par ailleurs, dans ce besoin d’abandon, de laisser-aller, à maintes reprises commandé par un nombre considérable de verres de vin ou de bouteilles de bière. Le quotidien lassant les pousse à s’évader, à s’échapper. « […] souffrais-je vraiment lorsque je fuyais mes êtres chers ? N’éprouvais-je pas plutôt un sentiment de libération ? […] Sensation désagréable que les choses se répétaient… Les choses se répètent sans cesse […] ». Lessard arrive à retenir le lecteur dans une quête qui finit par porter sur leur existence même.
Il ne faut pas se laisser déconcerter par les détours, les croisements d’histoires et la répétition de détails anodins si l’on veut apprécier Nina. Il faut dévorer le livre, le lire comme il a été écrit : d’un trait. Il faut s’y perdre et aimer s’y perdre, car cette fois, nous n’aurons pas droit à toutes les réponses.
Carol-Anne Tremblay, cégep de Lévis-Lauzon