Dans les coulisses du Prix des collégiens

Assis par terre dans une salle d’un hôtel de Québec, les collégiens se préparent bruyamment en équipe à la délibération finale. Regroupés autour de leur livre favori, ils montent en quelque sorte leur plaidoirie.
Photo: Renaud Philippe - Le Devoir Assis par terre dans une salle d’un hôtel de Québec, les collégiens se préparent bruyamment en équipe à la délibération finale. Regroupés autour de leur livre favori, ils montent en quelque sorte leur plaidoirie.

Québec — Chaque année, la remise du Prix littéraire des collégiens est précédée par une intense séance de délibérations entre les jeunes participants. Pour la première fois cette année, Le Devoir a pu y assister.

Impossible de s’en faire pour « la jeunesse » après avoir assisté à un exercice pareil. Mais avant de décrire cette soirée particulière, rappelons d’abord le contexte. Le Prix littéraire des collégiens est remis chaque année à l’occasion du Salon international du livre de Québec. Coordonné par la Fondation Marc Bourgie avec le concours du Devoir, il amène les étudiants à choisir leur livre favori parmi cinq ouvrages parus dans l’année.

 

Cette année, un jury de critiques avait choisi Artéfact de Carl Leblanc (XYZ), Chanson française de Sophie Létourneau (Le Quartanier), Guano de Louis Carmain (L’Hexagone), Mensonges de Christiane Duchesne (Boréal) et Nina de Patrice Lessard (Héliotrope).

 

Environ 800 jeunes de 53collèges y ont participé. Dans chaque cégep, ilsdevaient faire un choix et déléguer un des leurs pour aller plaider leur cause aux délibérations finales à Québec.

 

Dans l’hôtel où ils étaient réunis jeudi soir, les discussions se sont poursuivies jusqu’à tard. « Ce sont les plus éloquents de leur collège », résumait l’un des professeurs responsables, Carl Perrault, du collège Jean-de-Brébeuf. « C’est un concentré de passionnés, c’est pour ça que c’est très intense. »

 

L’ambiance dans la salle était totalement cacophonique. Assis par terre, on se préparait bruyamment en équipe à la délibération finale. Regroupés autour de leur livre favori, ils montaient en quelque sorte leur plaidoirie.

 

Dans un coin, une élève évoquait « la crise identitaire » des personnages ; dans l’autre, « l’équilibre entre le fond et la forme ». À cette étape, il ne restait plus que trois livres dans la course, soit Artéfact, Chanson française et Guano.

 

Soudain, l’équipe pro-Guano décide de scinder son groupe en deux avec une équipe de plaideurs pour défendre le livre et une autre… pour attaquer les deux autres.

 

« Pensez aux forces rhétoriques de chacun et chacune », avait dit le professeur Bruno Lemieux du cégep de Sherbrooke, qui est dans l’organisation depuis les débuts.

 

Surtout que les temps de parole sont comptés. Chacun des 53 élèves a un carton vert lui donnant droit à une minute d’arguments. On lui donne aussi un carton rouge qui, regroupé avec ceux de deux autres élèves, donne un droit de parole supplémentaire. D’où la nécessité de choisir les meilleurs tribuns ou les critiques les plus convaincants.

 

« On se fait présenter un fantasme de la vie puis le livre nous montre que c’est de la m…, lance un partisan de Guano. J’ai adoré me faire dire ça par l’auteur ! »

 

L’exercice est terminé et on change de salle pour la finale des finales. Les appuis transcendent les appartenances régionales. Matane, Sherbrooke et Victoriaville votent ensemble alors que l’Abitibi est du bord de Montréal.

 

La joute débute, les premiers cartons verts sont dépensés. La représentante de Saint-Jérôme lance qu’Artéfactest un livre complet qui suscite à la fois la réflexion, les émotions, tout en éveillant les mémoires. Elle dit qu’il est « la lumière dans les ténèbres ».

 

À défaut d’applaudir, ses partisans agitent les mains comme on faisait dans les assemblées du printemps érable. Ici, on parle de la poésie d’un texte ; là de l’importance de défendre un livre accessible à des jeunes qui lisent moins.

 

Il faut dire que les trois livres finalistes sont très différents sur le plan formel. Artéfact, par exemple, mise sur une écriture quasi journalistique alors que Guano fait dans l’exploration poétique.

 

C’est donc un débat sur le rôle même de la littérature qui se dessine dans ce sous-sol d’hôtel. Un livre a-t-il d’abord pour mission d’éveiller les consciences ? D’émouvoir ? Ou de repousser les limites de la création ?

 

Féroces, les collégiens n’ont rien à envier à la Bande des six en matière de mordant. « Mettre de la fleur de sel sur du Kraft Dinner, ça fait pas de la gastronomie ! » lance une élève pour critiquer le livre de l’autre camp.

 

Et ça a continué comme ça jusqu’au vote final passé 10 h. N’eût été les professeurs pour les minuter, ils y seraient sûrement encore.

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Louis Carmain, lauréat

C’est finalement Guano de Louis Carmain qui a remporté le Prix littéraire des collégiens. Premier roman de l’auteur, l’ouvrage a été publié en 2013 chez L’Hexagone. Il décrit avec ironie une absurde campagne militaire menée par l’armée espagnole au XIXe siècle sur fond de… caca d’oiseau. Absent lors de la remise du prix vendredi au Salon international du livre de Québec, Louis Carmain a demandé à son éditrice de lire un texte pour lui.
Retenu par des obligations familiales, il y a expliqué qu’il lui était plus simple de ne pas être présent. « C’est comme si je ne pouvais faire, au sujet des livres, que le choix de me taire, a-t-il écrit. De me taire ailleurs que dans mes propres livres, qui sont devenus, de leur première majuscule à leur dernier point mon seul espace de liberté. Mes livres sont devenus ma voix. »

Un second roman de M. Carmain doit sortir cet automne.

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