Perrine Leblanc, parfums de femmes

Perrine Leblanc
Photo: Pedro Ruiz - Le Devoir Perrine Leblanc

Perrine Leblanc est sortie presque brutalement de son anonymat en 2010, tirée par le succès de son premier roman, L’homme blanc (Quartanier). Un Grand Prix du livre de Montréal, une publication dans la collection « Blanche » de Gallimard (sous le titre Kolia), une adaptation cinématographique en cours et, presque quatre ans plus tard, la jeune auteure revient, plus assurée au jeu de l’entrevue, parler de Malabourg. Son nouveau roman, charnu, plus sensuel, n’échappe pas à d’intelligentes fulgurances romantiques. Rencontre.

Les livres de Perrine Leblanc naissent d’une image, confie l’auteure, juchée sur un banc étroit dans un café surfréquenté de Montréal. L’homme blanc était né, rappelle-t-elle, de l’observation à Bucarest d’un acrobate pickpocket. Un flash qui lui avait inspiré l’histoire d’un enfant ayant grandi à la dure dans le goulag, qui finit par devenir clown. Une obsession pour la Russie avait complété la trame.

 

À la racine de Malabourg, encore une image : celle « d’une jeune femme enceinte, dans un lac, avec un nénuphar sur l’épaule qui représente l’enfant à venir. Au départ, j’avais juste des voix de femmes, jeunes, mortes, dans la tête. » Une autre obsession, la parfumerie et ses odeurs, apporte au tissu narratif une grande sensorialité.

 

Dans un village inventé de la Gaspésie — le Malabourg du titre —, trois jeunes femmes, dont une enceinte, sont assassinées. Mina, seule témoin des meurtres, s’exilera à Montréal, où elle se reconstruira et arrimera son coeur à celui d’Alexis, parti lui aussi du village pour apprendre la parfumerie.

 

Dans le premier roman, un univers masculin, sec, des phrases courtes, un monde dur. Dans le second, des personnages essentiellement féminins, une richesse des sens et de la nature — le fleuve, la neige, les herbes, les fleurs —, une musique riche. Et un monde dur. Un contrepoint volontaire ?

 

« J’aime bien l’originalité, explique Leblanc. Les projets me suivent si j’évolue, si je change, si mes intérêts se transforment. C’est toujours moi, sous l’influence de ce que j’ai à raconter. J’ai l’impression d’avoir trouvé ma phrase dans Malabourg. Il y a peut-être quelque chose qui a dégelé. J’étais très amoureuse quand je l’ai écrit ; j’étais peut-être portée par ça, je suis peut-être allée plus près de mon centre, aussi. »

 

Langue et paysage

 

Il y a frottement dans Malabourg entre le paysage québécois et la rigueur de la langue. « Ce qui m’intéresse maintenant c’est la nordicité et l’américanité. J’aimerais aller à Terre-Neuve, ou dans le Grand Nord l’hiver. La langue, aussi, m’intéresse. C’est sûr que le relâchement me… il y a une violence dans la syntaxe défaite, relâchée… à l’oral c’est autre chose, mais à l’écrit… à moins qu’elle ne soit cassée volontairement, dans le cadre d’un projet littéraire… Il y a un monde entre les courriels, la langue du quotidien et la langue littéraire, et cette onde-là c’est l’imaginaire, c’est le travail de l’imaginaire qui se fait, et qui transforme le matériau de la langue, et qui en fait de la littérature. C’est pourquoi j’aime lire Pascal Quignard : cette rigueur dans l’écriture. »

 

Cette friction fait que Malabourg semble sis hors du temps, malgré la contemporanéité, de 2007 au 2012 du printemps érable, de l’action. Est-ce le vocabulaire, presque Vieille France ? « J’ai une fascination pour les archaïsmes, je les adore. Les anglicismes, ça dépend, mais ce ne sont pas non plus des virus. J’aime l’effet d’étrangeté. Les deux premières parties de Malabourg sont au passé simple, dans un temps de conte, hors du temps, avec un côté anachronique voulu, parce que la violence est là et elle est littéraire — la violence monstrueuse », celle du violeur meurtrier narcissique et presque impénitent, vrai méchant loup. « Quand on sort de cet univers, on est au temps présent, à l’indicatif. Comme un parfum, on a la base, on part de la matière première qu’on transforme, autour de laquelle on compose. »

 

Eau, esprit, sels

 

Perrine Leblanc porte le blanc de son poignet à son nez, à plusieurs rapides reprises au cours de l’entrevue, pour respirer, comme on aurait en un autre siècle senti des sels, le parfum privé qu’elle s’est composé en atelier, pendant ses recherches pour le roman. Presque le parfum qu’Alexis crée dans le livre.S’y trouve « un flacon complet de rose de Turqui. Je savais que je voulais ça. Après j’ai organisé l’orchestre autour, avec du musc, un peu trop d’ailleurs. J’ai eu accès à l’orgue complet à l’Artisan Parfumeur, j’ai pu sentir des matières premières auxquelles on n’a habituellement pas accès : des aldéhydes — ces molécules chimiques, popularisées par Chanel no 5, qui donnent quelque chose de différent comme odeur, c’est vif — et des matières très rares, très chères, comme le bois de santal. »

 

Est-ce l’importance de l’odorat, de cette recherche précise à dire les odeurs, qui fait qu’on n’a pu éviter de penser pendant la lecture au roman de Patrick Süskind Le parfum (Le livre de poche, 1985) ? Leblanc hausse les épaules : ce lien, s’il existe, n’appartient qu’au lecteur. Chez Süskind, Jean-Baptiste Grenouille, au XVIIIe siècle, tue des femmes pour tenter par enfleurage d’en conserver la parfaite odeur. Ici, Alexis, par la parfumerie, « a remonté à la vie, remis au monde à sa façon, délicatement, trois jeunes femmes pour l’amour d’une autre ».

 

Une des différences d’écriture entre les deux romans de Perrine Leblanc se trouve dans ses recherches. « Je n’ai jamais été en Russie, je n’ai pas pris le Transsibérien quand j’ai écrit L’homme blanc. Il y avait un travail d’imagination, même si le livre est vraiment un portrait d’une région intime. Pour Malabourg, j’avais juste à ouvrir la porte. C’est ici, chez nous. Les lieux, vraiment, tout ce qui est matériel est réel. » Les actions, elle les a posées. « J’ai fait les trajets en autocar, vers New York, j’ai croisé les douaniers, j’ai fait l’atelier de parfumerie. » Après un détour par la Grosse Pomme, l’histoire se boucle dans le Montréal du printemps étudiant.

 

« Je trouve qu’on l’a oublié rapidement, ce printemps-là. Moi, ça m’a vraiment marquée, j’avais l’impression qu’il se passait quelque chose, je n’avais jamais vécu ça. J’ai fait des marches, des manifs. Et j’ai couru, j’ai parlé aux policiers et j’ai été pour la première fois de ma vie vraiment terrorisée, chez moi. J’ai pris des notes, je ne savais pas trop pourquoi, et tous les morceaux du puzzle se sont placés. Ça a changé la trajectoire de Malabourg. Je pense que je suis très sensible à la violence, à l’injustice, qu’elles me bouleversent. » Et qu’elles l’inspirent, visiblement. « C’est peut-être pour ça que mes romans peuvent être très durs. »

Malabourg

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