Les soeurs Fox, filles spirituelles de Mesmer

Les sœurs Kate, Leah et Margaret (Maggie) Fox
Photo: Library of Congress Les sœurs Kate, Leah et Margaret (Maggie) Fox

En 2013, Hubert Haddad a reçu deux prix : celui de la Société des gens de lettres, pour l’ensemble de son oeuvre, et le prix Louis-Guilloux, pour perpétuer l’esprit de l’écrivain breton. Tous les livres de Haddad frappent par leur qualité esthétique. Dans son dernier ouvrage, il a choisi de scénariser une superstition romantique plus tenace que la raison.

 

En 2013, l’écrivain français d’origine tunisienne avait signé un très élégant roman, en forme de haïkus, Le peintre d’éventail (Zulma), rappelant qu’il est lui-même peintre et poète, ainsi qu’éditeur de poésie — cela, sans compter ses romans policiers, publiés sous le pseudonyme de Hugo Horst. Il mettait alors la dernière touche à Théorie de la vilaine petite fille, reconstruction d’un fait divers survenu au pays d’Emily Dickinson. Cela se passe à Hydesville, près de Rochester dans l’État de New York, en 1848.

 

C’est là que les trois filles du pasteur Fox, se livrant à un (faux) témoignage sur leurs relations avec des esprits, amorcèrent un culte spiritiste qui essaima longtemps et à travers les continents, comptant plus de trois millions d’adeptes en quelques années. Quantité de recherches à prétention scientifique en découlèrent, en dépit de la rétractation d’une des soeurs Fox et du ridicule de la situation première.


Médiums

 

Leah, Maggie et Kate sont de vilaines filles. À 12 ans, Maggie fait de la magie : avec Kate, elle parle avec les morts. Oublions Leah, d’une vingtaine d’années son aînée, qui a le sens des affaires. À 52 ans, Maggie avoue la supercherie. Devant la catastrophe annoncée, elle est invitée à retirer ses mots, un an plus tard. Mais les trompeurs trompés n’en démordent pas de sitôt, et la farce, longue à s’extirper de la croyance par une saine critique, est racontée par le romancier comme un fait divers inépuisable. Ce scandale impuni, ce drame du fanatisme collectif, serait-il aujourd’hui endigué ?

 

« Elle est folle ! », cria-t-on à Maggie, qui déclarait froidement : « Le spiritualisme est d’un bout à l’autre une supercherie. C’est la plus vaste imposture de notre siècle. Kate Fox et moi avons été embarquées là-dedans encore petites filles, bien trop jeunes et bien trop innocentes pour comprendre à quoi nous jouions vraiment, l’une et l’autre propulsées dans cette voie de duperie par des adultes sans scrupules… » Et Haddad de raconter avec brio le spectacle du théâtre médiumnique dans lequel elles jouaient leur histoire pas vraiment drôle.


Boucs émissaires

 

Pourquoi ressortir cette affaire, qui a enseveli ses actrices, et les porteurs de rumeur, dans la médiocrité et l’oubli, sinon pour mettre en relation les circonstances et l’impact exemplaire ? Les afflux d’immigrants en Amérique et le melting-pot en formation ; l’invention de l’électricité et de la chaise mortelle ; les massacres d’Indiens ; la montée des sectes et des affairistes, et surtout les égarements s’exportant dans le spiritisme, tout cela, dont on se détournait pour vanter le mystère des esprits frappeurs, conduisit les deux plus jeunes soeurs à la relégation et à la fosse commune.

 

Ce que Haddad rapporte en définitive, c’est ce qu’on découvrit plus tard : un squelette anonyme sous un mur de leur maison, qui explique suffisamment qu’on entraîna ces petites, sacrifiées sur l’autel de la magouille générale, à converser avec les morts.

 

Cela aurait-il eu lieu dans une société moins obscurantiste et moins peureuse, moins obnubilée par le démon ? Ce qui s’en dégage, ce sont les intérêts, immédiatement croisés, à tenir les êtres crédules dans l’ignorance. Manipulations et mensonges n’ont convergé que parce qu’il était aisé de faire passer « les mystères de la nuit » pour le réel dans des psychés fragiles. Plus encore, une idéologie du péché sans frontières, de la faute et de la culpabilité, sans retour de conscience ni pardon, transforma l’artifice en conviction. Victor Hugo ne pratiquait-il pas des soirées spiritistes dans son long ennui de Guernesey ?

 

Le romancier raconte cette imposture idéologique et l’instrumentalisation de deux fillettes, devenues vedettes, en vérité prisonnières de l’opinion qu’elles fascinaient. Elles abusèrent parce qu’elles avaient été abusées. Aucune accusation légale ne fut portée ; aucun jugement, donc, ne vint réhabiliter la vérité, la dignité de Maggie. Demeura la souffrance de victimes innombrables, l’irresponsabilité triomphante des puritains, le traumatisme institué et latent rejoignant les ambiguïtés de l’Histoire où plongent inévitablement les fautes irréparables et répétées.


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Les vraies soeurs Fox

On considère encore aujourd’hui les vraies soeurs Fox, filles, selon les sources, du pasteur David Fox ou d’un certain John D. Fox, comme les mères du spiritisme.

1848 Kate, 9 ans, et Margaretta, 12 ans, disent avoir été surprises et effrayées par des pas entendus, inexplicablement, dans leur maison de Hydeville. Le 31 mars, Kate imite les sons de « l’esprit frappeur », qui lui répond. Quelques semaines plus tard, des ossements humains sont trouvés, après fouilles, dans la maison.

1849 – 1850 Le phénomène de conversation avec les esprits suit les soeurs, dans leurs déménagements, et surtout en public. Elles commencent à faire la démonstration de leur « talent » lors de séances payantes, très courues. Kate et Maggie seront désormais considérées comme des médiums.

1886 Un article du New York Times paraît le 18 avril. « The Rochester rappings. The Fox sisters and the beginning of spiritualism » les présente comme les fondatrices du spiritisme.

1888 Maggie confesse que c’est essentiellement en faisant craquer très fort les jointures de leurs doigts et orteils que les soeurs Fox recréaient les coups attribués aux esprits.

 

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