Les traces de la Conquête de 1763

La thèse de l’abandon du Canada par la France de Louis XV est au coeur de notre mémoire collective. La colonie du Saint-Laurent a-t-elle été cédée ou conquise au milieu du XVIIIe siècle ? La question est abordée de front dans 1763, un ouvrage collectif qui paraît à l’occasion du 250e anniversaire du traité de Paris.
Laurent Veyssière rappelle en introduction que la cession du Canada découle de l’affaiblissement militaire de la France, qui a perdu son rapport de force à l’ouverture des négociations de paix. La stratégie de Versailles, basée sur la conquête de territoires allemands à échanger contre les colonies perdues, a échoué sur les champs de bataille.
La guerre de Sept Ans avait pourtant bien débuté pour la France. Le sort du Canada aurait été différent si le traité de Paris avait été signé dès 1758, comme le souhaitait l’abbé de Bernis, le ministre français des Affaires étrangères.
« Dès son entrée en fonction, il pressent que l’avenir de la France se joue bien davantage en Amérique que sur le continent, écrit Éric Bédard. Si la Cour avait adopté ses vues — et que le gouvernement anglais avait joué le jeu, ce qui est loin d’être certain —, la marine anglaise aurait rebroussé chemin après la prise de Louisbourg, Québec ne serait pas tombée, Montréal n’aurait pas capitulé… »
La conquête du Canada contribue à l’explosion de la dette britannique, souligne Michel De Waele. Les considérations financières vont amener Londres à faire des concessions afin de mettre un terme au conflit. La France aurait pu en profiter pour reprendre le Canada en échange de Minorque, affirme Denis Vaugeois en donnant l’exemple de l’Espagne qui a récupéré La Havane en cédant la Floride à la Grande-Bretagne. Versailles va toutefois préférer les îles au continent américain.
Les célébrations entourant la signature du traité de Paris en France ont scandalisé les historiens québécois. « Trop d’auteurs ont associé cette joie à la perte du Canada, prévient Veyssière. Il n’est pas question de cela, mais de la satisfaction de voir prendre fin un conflit coûteux aussi bien en hommes qu’en argent. » Alain Laberge démontre comment Versailles est parvenue à « dissimuler la Paix néfaste » en faisant coïncider les fêtes avec l’inauguration d’une statue de Louis XV.
Les années d’après-guerre sont marquées par la question de l’argent de papier émis au Canada sous le Régime français pour pallier le manque de numéraires. Le remboursement partiel des sommes dues aux coloniaux par Versailles est décrit en détail par Sophie Imbeault, codirectrice de l’ouvrage. Les quelque 8000 détenteurs des « papiers du Canada » vont perdre près de 75 millions de livres dans l’opération.
Le changement d’empire touche également les Amérindiens privés du soutien militaire français. Les Britanniques leur accordent d’abord un territoire réservé dans les Grands Lacs et à l’ouest des Appalaches. « Sous son apparente générosité, le geste lance officiellement le processus de confinement des Autochtones dans des espaces de plus en plus restreints », écrit Alain Beaulieu.
Les auteurs s’intéressent enfin aux impacts de la Conquête sur le régime seigneurial, le commerce des fourrures et les habitudes alimentaires des Canadiens. Les traces de 1763 se retrouvent ainsi jusque dans nos traditionnels tourtière et ragoût de pattes.
Collaborateur