Traduire au Québec

Traduction nécessaire ou nécessaire trahison, que le passage d’une langue à l’autre ? Le XXXe colloque de l’Académie des lettres du Québec, qui se tient ce vendredi à Montréal, ne répondra pas à cette grande question, aussi essentielle que galvaudée, de la traduction. Il se demandera plutôt ce qu’est la place de la traduction dans la littérature d’ici.

 

Sherry Simon, essayiste, professeure de traduction à l’Université Concordia et anglophone francophile ayant Montréal tatouée sur le coeur, dirige ce colloque, en collaboration avec Pierre Nepveu. Son but : « inviter le public à prendre connaissance de ce que peut la traduction dans une petite littérature comme celle du Québec. Il y a une histoire ici associée à la traduction : à partir des années 1960, on voit une méfiance face à la traduction à cause d’une méfiance envers la langue anglaise, mais les choses ont beaucoup changé. »

 

Certaines traductions, rappelle Mme Simon, ont vraiment marqué le Québec. « Je pense aux traductions de Shakespeare par Michel Garneau, à son Macbeth qui s’est inscrit sur la scène théâtrale, où il a profité des possibilités de la traduction pour enrichir la langue québécoise. Je pense à Jacques Brault, qui a fait des traductions volontairement déviantes, pour interroger un certain rapport face à la poésie canadienne anglaise et américaine. Je pense à Pierre Anctil et à ses traductions du yiddish. La traduction n’est pas qu’un rapport bienveillant et neutre. Elle peut tirailler. Et c’est de bonne guerre que d’aller chercher ce qu’on veut d’une autre culture et de s’en servir à ses propres fins. »

 

L’idée du colloque est également de dévoiler tout le prisme, car « la traduction peut prendre bien des formes : je pense au livre d’Abla Farhoud, qui utilise des proverbes arabes comme squelette dans Le bonheur a la queue glissante (Typo), un roman qui devient, dans sa première version, déjà une traduction. Ou au réalisateur Denis Villeneuve, qui a en quelque sorte traduit la pièce de théâtre de Wajdi Mouawad Incendies en la portant à l’écran, en la transportant à Beyrouth, en ajoutant de l’arabe, en changeant sa texture. »

 

Et de nos jours ? « Maintenant, on trouve une ouverture aux langues d’ici - celles qu’on parle à Montréal - comme à celles de l’extérieur. Et ce rapport complexe et difficile au français de France change : on peut célébrer le fait que des traductions d’ici, comme celles de Lori Saint-Martin et Paul Gagné, sortent maintenant en France. On arrive, j’espère, à la fin de cette longue guerre, et désormais on peut très bien traduire ici et publier en France. »

 

Le colloque réunit des traducteurs de tous les horizons, souvent aussi auteurs, comme Pierre Anctil, Dominique Fortier, Lori Saint-Martin, David Bellos (auteur de l’amusant et foisonnant livre de réflexions et d’anecdotes de traductions Le poisson et le bananier. Une fabuleuse histoire de la traduction, chez Flammarion). Il fait la part belle aux gens de théâtre, tels Paul Lefebvre, Lorraine Pintal, Maryse Warda et Jean-Marc Dalpé. C’est qu’au théâtre, poursuit Mme Simon, « on voit le résultat le plus immédiat des traductions. D’abord dans le choix des oeuvres, mais aussi dans la façon de traduire, puisqu’il faut toucher le public immédiatement. C’est donc dans la traduction théâtrale qu’on voit le plus de liberté, le plus de stratégies différentes, peut-être. Et on traduit beaucoup de théâtre au Québec : de l’anglais, mais aussi de l’allemand, et même de l’arabe. »

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