Prix unique du livre - Costco défend son opposition

Il n’existe pas de « données probantes », selon Costco, pour motiver l’adoption d’une politique limitant les rabais à 10 % pendant neuf mois, comme le demande le milieu professionnel du livre.
Photo: Annik MH de Carufel - Le Devoir Il n’existe pas de « données probantes », selon Costco, pour motiver l’adoption d’une politique limitant les rabais à 10 % pendant neuf mois, comme le demande le milieu professionnel du livre.

Sans surprise, Costco s’est opposé à l’instauration d’un « prix de vente unique » pour le livre en commission parlementaire à Québec, mardi. Le quatrième plus important détaillant au pays, dont les prix coupés fragilisent l’écologie du livre selon les tenants d’une réglementation, estime qu’une telle mesure « n’est pas la panacée ».

 

Au contraire, elle ne ferait qu’accélérer la baisse des ventes de livres au Québec en dissuadant certains consommateurs de les acheter. Un calcul qui fait non-sens aux yeux de l’Association des distributeurs exclusifs de livres en langue française (ADELF) et de l’économiste Marc Ménard.

 

Il n’existe pas de « données probantes », selon Costco, pour motiver l’adoption d’une politique limitant les rabais à 10 % pendant neuf mois, comme le demande le milieu professionnel du livre. Et celles qui existent - plusieurs études ont été citées pendant la commission et concluent aux bienfaits d’une réglementation - ne tiennent pas compte des autres facteurs de changement dans le marché, comme l’essor du numérique et du commerce en ligne.

 

Le géant du commerce de détail a donc multiplié les données pour justifier sa position. Il a notamment signalé le recul de 27 % de ses ventes de livres papier aux États-Unis au profit du numérique, convaincu qu’une réglementation des prix ne fera qu’accentuer cette tendance. Va pour ce transfert, répète le milieu du livre depuis le début de la commission, même si pour l’instant, ce marché demeure marginal (4 %). « L’adaptation est dans l’ADN de l’industrie du livre, a indiqué Pascal Chamaillard de l’ADELF en début d’audience. On veut juste que les règles du jeu soient les mêmes pour tout le monde. »

 

Un sondage commandé cet été par Costco à la firme Léger Marketing sur le comportement de sa clientèle le porte à conclure que celle-ci ne se déplacera pas vers les librairies indépendantes si une politique de limitation des rabais entre en vigueur. Car trois répondants sur quatre disent faire des achats « occasionnels » de livres, pour lesquels le prix est un facteur décisif, et continueraient d’acheter ceux-ci chez Costco malgré un prix unique.

 

Le dernier quart

 

Or, le milieu professionnel du livre (éditeurs, distributeurs, auteurs, libraires) ne demande pas plus que ce quart résiduel des consommateurs des grandes surfaces, qui font des achats plus réfléchis et n’attendront plus d’aller chez Costco pour acheter une nouveauté. « Si seulement un quart des trois millions de livres vendus en grande surface était récupéré par les libraires, cela améliorerait grandement leur situation en réinjectant chez eux plusieurs millions de dollars de marge bénéficiaire brute », signalent dans leur mémoire les éditions du Boréal, accueillies devant la commission en fin de soirée.

 

L’éditeur rappelle aussi le rôle essentiel d’intermédiaires culturels joué par les libraires pour révéler un livre au monde. « La disponibilité d’un titre en vitrine, dans un catalogue ou sur un site Internet ne suffit pas. Il faut quelqu’un pour communiquer le désir de le lire. Sans ces libraires-conseillers, les nouveautés littéraires ne seront pas soutenues, les tirages baisseront, avec pour conséquence une augmentation du prix. »

 

L’ADELF a ramené le débat sur le terrain de ses grands enjeux. Ce ne sont pas les « petites librairies » qu’un prix réglementé va protéger, mais « LA librairie », que ce soit les grandes chaînes ou les indépendantes, a souligné Pascal Chamaillard. Pour lui, les exemples internationaux démontrent qu’un prix plancher permettra d’éviter une guerre de prix comme il y a en a (eu) dans les pays sans réglementation. Là, les gros rabais d’abord offerts par Amazon et consorts ont fait disparaître les librairies, et le prix de détail du livre a ensuite explosé. « Il y a plus d’inflation en Angleterre [où le prix unique a été supprimé en 1995] qu’en France » (où il règne toujours), a indiqué M. Chamaillard, s’appuyant notamment sur l’étude de l’économiste britannique Francis Fishwick. « Il est parfois périlleux de laisser l’autorégulation opérer dans certains milieux. »

 

Même son de cloche sur l’inefficacité du « cours d’économie 101 » de la part de l’économiste Marc Ménard, autre intervenant de ce cinquième jour de commission, qui a beaucoup oeuvré dans l’industrie culturelle. Selon lui, recourir à la notion d’« élasticité » - notamment utilisée par l’Institut économique de Montréal - « pour estimer les variations dans l’ensemble du marché du livre relève du non-sens, parce qu’il s’agit d’un marché fortement segmenté par des biens différenciés », du livre pratique à la littérature.

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