Balzac ou la conquête du monde

Pour l’essayiste Gérard Gengembre, Honoré de Balzac (représenté ici sur une gravure non datée) est un conquérant.
Photo: Source Agence France-Presse Pour l’essayiste Gérard Gengembre, Honoré de Balzac (représenté ici sur une gravure non datée) est un conquérant.

Je ne vous cacherai pas que lorsque m’est parvenu cet essai sur Balzac, je n’ai pu réprimer un sentiment de lassitude. Une autre tentative d’éclairer une oeuvre dont l’importance n’est certes pas discutable, mais au sujet de laquelle on a beaucoup écrit. Universitaires, écrivains, essayistes, romanciers, d’Alain à Zweig, de Curtius à Roger Pierrot, on a depuis longtemps salué l’importance de la Comédie humaine. Sur tous les tons.

 

Mais alors, pourquoi ajouter une autre pierre à l’édifice ? La réponse est simple. Gérard Gengembre, professeur émérite à l’Université de Caen, auteur du Théâtre français au XIXe siècle, tout spécialiste qu’il est, réussit à évoquer la figure du Tourangeau avec la passion d’un groupie. Rien de moins.

 

Balzac. Le forçat des lettres s’ouvre sur une affirmation de l’auteur du Père Goriot, que Gérard Gengembre assume pleinement. L’écrivain est un instituteur des hommes qui a remplacé le prêtre. « Il a revêtu la chlamyde des martyrs, il souffre mille maux, il prend la lumière sur l’autel et la répand au sein des peuples, il est prince, il est mendiant, il console, il maudit, il prie, il prophétise, sa voix ne parcourt pas seulement la nef d’une cathédrale, elle peut quelquefois tonner d’un bout du monde à l’autre, l’humanité, devenue son troupeau, écoute ses poésies, les médite, et une parole, un vers ont maintenant autant de poids dans les balances politiques qu’en avait jadis une victoire. »

 

Notre essayiste ne temporise en rien cette déclaration emphatique de Balzac. Pour lui, aucun doute, Balzac est un conquérant. Il le compare à Napoléon, dont il oublie qu’il fut un guerrier sanguinaire. Il est probable, au reste, qu’il ne partage pas cet avis.

 

Tout le monde le sait, la vie de Balzac est un roman. Un roman dont Gérard Gengembre connaît tous les méandres. Le jeune provincial, dont la famille souhaitait qu’il devînt notaire, est rapidement ce Rastignac qu’il décrira plus tard. Il perd beaucoup d’argent dans une affaire d’imprimerie, écrit sous différents pseudonymes, écrit pour le théâtre. Il s’essaie au dandysme, mais sans grand succès. Il est gros, s’habille mal, mange comme un ogre. Il n’est pas de ceux dont les femmes raffolent dans les salons. Ce qu’il supporte mal.

 

La seule façon de s’imposer : écrire. Il le fait en s’astreignant à une discipline de fer, que ne viennent interrompre que de courts intervalles de ripaille. Il signe des contrats à droite et à gauche, contracte des dettes qu’il ne peut rembourser, déménage à la cloche de bois, a un faible pour les logis possédant une sortie dérobée.

 

La modestie n’est pas son fort. Il ne craint pas d’affirmer : « Saluez-moi, je suis tout bonnement en train de devenir un génie ! » Cette déclaration ferait sourire si on ne savait pas que Balzac avait vu juste. Ce n’est d’ailleurs pas à lui qu’on demande la retenue, le bon goût. Il est un parangon de l’outrance.

 

En politique, il est carrément réactionnaire. Royaliste, il croit en la famille, ne jure que par les institutions. Ce qui ne l’empêche en rien d’avoir deux maîtresses dites ordinaires, Laure de Berny et Mme d’Abrantès, mais, nous dit Gérard Gengembre, « Balzac s’évertue à rester chaste le plus possible, l’économie des forces devant élever la pensée ». Ce presque chaste a des penchants politiques marqués. Pour lui, le royalisme est « une doctrine de progrès et d’efficacité qui se définissait par opposition à l’inconstance des hommes de Juillet ».

 

La rencontre de Mme Hanska en 1833 marque le début d’une liaison qui n’aboutira à un mariage que quatre mois avant sa mort, en 1850. Une longue correspondance en fait foi. Tout porte à croire que le grand homme était vraiment amoureux de son aristocrate admiratrice.

 

On a beau connaître les événements principaux qui ont marqué cette vie hors du commun, on est constamment tenu en éveil par le talent du biographe. Il sait animer une scène. On l’imagine aisément devant des étudiants. À noter aussi la présence d’index, des noms et des oeuvres de Balzac, ainsi qu’une bibliographie sélective.

 

 

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