Le père de la loi-cadre sur le livre appuie le contrôle des prix

Denis Vaugeois prend publiquement position pour une politique de contrôle des prix des livres neufs au Québec. L’ancien ministre de la Culture et père de la loi 51, la loi-cadre sur le livre au Québec, estime qu’une politique de contrôle des nouveautés en librairie est nécessaire. Son passage à la commission l’a érigé en quasi-héros auprès de plusieurs auteurs, actifs sur Facebook.
« Je ne reviendrai pas sur les avantages du prix unique en France ou dans les pays où cette pratique a été implantée, ni sur les conséquences désastreuses dans les pays comme la Grande-Bretagne, qui l’ont abandonnée. Mais les résultats sont là et il faut être de mauvaise foi pour le nier », a-t-il dit.
L’ancien ministre, qui a longtemps été aussi éditeur, regrette les occasions manquées précédemment pour légiférer sur le prix des livres. « Nous savons qu’au moment du Sommet sur le livre et la lecture en 1998, Lucien Bouchard avait cédé aux arguments des lobbyistes, lesquels semblent avoir repris du service. […] En fait, des géants comme Costco n’aiment pas se faire dicter des règles, et ils réagissent négativement pour l’instant. Pourtant, ils sortiront gagnants. Les habitudes des consommateurs ne changeront pas le temps de le dire. Bref, ils risquent de faire de meilleures affaires. »
Qui gagnera à voir le prix des livres réglementé ? « Tout le monde », estime l’ancien ministre. « Oui, tout le monde, soit les auteurs dont les livres seront présents dans quelques centaines de points de vente, soit les lecteurs qui continueront d’avoir un large choix et, bien sûr, les librairies et les grandes surfaces. » Mais il précise que l’effet sera surtout « psychologique ».
Devant les membres de la commission, Denis Vaugeois a estimé qu’il est « un peu tard pour réparer, mais pas trop ». Selon lui, même les opposants finiront par se réjouir de la mesure, comme cela avait été le cas lors de l’adoption de la loi 51. « En pareille matière, les lignes de parti doivent s’effacer », puisque le bien commun en matière culturelle prime les visées idéologiques, estime en somme l’ex-homme politique, qui en a aussi profité pour donner quelques leçons d’histoire, notamment au jeune patron des librairies Renaud-Bray.
Des réponses claires
La commission entendait aussi mercredi le point de vue de l’Association des librairies du Québec (ALQ). Pas de surprise : là aussi, on soutient que la réglementation « est indispensable ». Sur un ton un peu fébrile, révélant qu’ils constituent le point focal de cette réglementation, ses dirigeants ont clairement répondu à des questions clés. Qu’est-ce qui les fragilise ? En quoi la réglementation les empêcherait-elle de fermer ?
« Depuis dix ans, le réseau de librairies constate une érosion de sa clientèle de best-sellers vers les grandes surfaces et les chaînes », lit-on dans leur mémoire. Comment les grandes surfaces peuvent-elles jouer les Goliaths avec 79 millions de ventes de livres - soit 11 % du marché - ? ont souvent demandé les parlementaires depuis lundi.
500 titres annuels
Les grandes surfaces ne vendent que des best-sellers, mais ce maigre 1,4 % de la production éditoriale annuelle, dont les Costco et Walmart font de simples produits d’appel, assure une essentielle part des revenus des libraires. « La rentabilité des librairies passe par la vente de best-sellers », affirmait mercredi Katherine Fafard, directrice générale de l’ALQ. Parce que ces quelque 500 titres annuels « ont un cycle de vente rapide, un faible taux de retour, et requièrent un effort de vente minimal », les best-sellers forment « le segment de vente le plus lucratif et, en l’occurrence, celui qui est attaqué par les grandes surfaces ».
Y a-t-il urgence à réglementer ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes, a répondu Mme Fafard au ministre Maka Kotto, si avide de données probantes depuis le début de cette commission. Depuis 2007, les fermetures de librairies ne sont pas compensées par l’arrivée de nouvelles enseignes, et la moitié des 27 librairies qui ont plié boutique depuis 2009 l’ont fait en 2012. Pourquoi la France, souvent citée en exemple et où le prix du livre est réglementé, a-t-elle vu fermer tant de librairies récemment ? « Elle n’a pas la loi 51 et la crise économique a frappé plus fort qu’ici », de rétorquer Mme Fafard.
L’ALQ a également insisté sur le conseil personnalisé qu’offre le libraire et qui « demeure le moyen le plus efficace et humain de répondre au client qui ne sait pas exactement ce qu’il cherche ». Une fonction que les sites de vente en ligne sont loin de combler. Si les librairies ont déjà pris le virage numérique, elles jugent qu’« il y a encore de l’avenir pour le papier », d’autant que le livre dématérialisé représente pour l’instant moins de 4 % du marché.
On aurait pu s’attendre à un autre son de cloche de la part de De Marque, entreprise qui assure la distribution des livres numériques. Or, son vice-président Clément Laberge juge que réglementer le prix du livre est la meilleure option pour stimuler l’innovation et assurer une qualité de services dans ce domaine. Car la bataille féroce que livrent les géants Amazon et consorts se fait ultimement au détriment du consommateur, qui devient captif plutôt que fidèle. Il propose aussi une réglementation assurant que l’éditeur fixe le prix des livres numériques.
Plaidoyer pour la lecture
49 % des Québécois n’atteignent pas le seuil minimal de littératie pour fonctionner dans une société de l’écrit et un sur dix est analphabète, est venu souligner Diane Mockle de la Fondation pour l’alphabétisation. Elle plaide d’abord pour une politique intégrée de promotion de la lecture et la plus grande accessibilité possible au livre abordable. Car la racine du problème des librairies est là : il y a trop peu de lecteurs. « Mais d’ici à ce qu’on parvienne [à augmenter leur nombre], ne tuons pas ces vecteurs de promotion et de diffusion culturels », a-t-elle déclaré, demandant même une réglementation qui permette aux librairies d’offrir des rabais aussi attrayants que ceux des grandes surfaces.