La réglementation sur le prix du livre: «une taxe au consommateur»?

Au tour de Renaud-Bray et des librairies indépendantes de livrer leur plaidoyer à la commission parlementaire sur la réglementation du prix du livre, mardi. Mais c’est d’abord le titulaire de la Chaire de gestion des arts des HEC, François Colbert, qui a jeté un pavé dans l’espoir du milieu de voir naître une législation.

 

Le professeur estime que la réglementation proposée par plusieurs acteurs du milieu du livre - soit un prix plancher qui limiterait à 10 % les rabais appliqués aux livres neufs pendant neuf mois - est une « taxe au consommateur » qui pénalisera les moins nantis, qui iront alors moins assister à des concerts ou au théâtre. Il avance qu’il n’y aura pas de transfert des clientèles de Costco vers les librairies indépendantes avec cette réglementation. « La chose la plus difficile en marketing, c’est de faire changer quelqu’un de marque », dit-il.

 

Il ne croit pas que la mesure empêchera la fermeture de librairies, qu’il suggère plutôt de subventionner. Il recommande surtout à celles-ci de se regrouper et de développer une approche commune. Un argument déjà avancé dans la commission Larose en 2000, auquel 90librairies indépendantes ont déjà répondu en s’associant en 2007, de rétorquer les Librairies indépendantes du Québec (LIQ), entendue juste après M. Colbert.

 

Dominique Lemieux a insisté sur le dynamisme de LIQ. « On a joué un rôle majeur dans le virage numérique », a dit le directeur général, avec la création du site transactionnel ruedeslibraires.com, qui n’aurait pas pu voir le jour sans son soutien et une action concertée.

 

Malgré cela, « 31 librairies ont fermé depuis 2006, dont 24 depuis 2010 », dit-il. Il attribue la baisse des bénéfices bruts des librairies indépendantes à la grande part des ventes de best-sellers, qu’accaparent les grandes surfaces (70 millionsdedollars). Et celles-ci qui offrent « moins de 3 % » des 5700 titres québécois disponibles annuellement.

 

Le Conseil consultatif du livre et de la lecture qui conseille le gouvernement sur ces questions a aussi recommandé l’adoption d’une réglementation. Parmi les motifs invoqués : la situation quasi monopolistique observée en matière de distribution dans les provinces voisines. Les grandes surfaces et la grande chaîne Chapters-Indigo y détiennent 65 % du marché, a indiqué son président, Hervé Foulon, et font de l’ingérence éditoriale. « Ils demandent des sur-remises aux distributeurs, ce qui fait augmenter les prix, et les éditeurs vont maintenant les rencontrer pour voir ce qu’ils pensent de tel ou tel titre et décider, à partir de là, de le publier ou pas. »

 

Selon LIQ, la réglementation n’est pas une taxe déguisée et ramènera certains clients (pas tous, reconnaît-on) chez eux. Ils s’en remettent à la pratique qui veut qu’on magasine ses titres à la librairie et qu’on achète ensuite au rabais dans les grandes surfaces.

 

Un autre point de vue

 

Renaud-Bray fait bande à part en rejetant l’idée d’une réglementation. Le p.-d.g. du réseau de librairies, Blaise Renaud, estime que le contexte a changé depuis la dernière occasion manquée de réglementer en 2000, qu’il n’y a plus de guerres de prix dans la mesure où les libraires ne répondent plus par des rabais plus grands à ceux imposés par les grandes surfaces.

 

Ces dernières ne sont pas la cause du problème selon lui. Il montre plutôt du doigt les distributeurs exclusifs, que la loi du livre a transformés en « un acteur en soi », alors que l’esprit de la loi en faisait plutôt un « moyen » pour favoriser les éditeurs et les libraires.

 

« On divise en trois [libraires, éditeurs, distributeurs] un profit normalement divisé en deux,dit-il. Comment se fait-il que les distributeurs soient libres de fixer les prix [des titres étrangers] sans redonner une contrepartie aux libraires ? Il faut revoir le rôle du distributeur. »

 

La sauvegarde des librairies - parce qu’il est d’accord avec le fait qu’elles sont fragilisées, y compris les siennes, et garantes d’un saine bibliodiversité - passe plutôt par « l’augmentation de la rentabilité des libraires en haussant leurs marges [de profits] brutes », dit-il. « Est-on là pour préserver un maximum de librairies indépendantes ou un réseau fort de librairies ? »

 

Pourquoi s’opposer à une mesure qui fait pourtant presque l’unanimité chez les acteurs principaux de l’industrie ?, a demandé Françoise David, de Québec solidaire. Parce que pour l’instant, grâce à la forte présence de Renaud-Bray et d’autres librairies québécoises en ligne, Amazon n’est pas encore trop dérangeant au Québec, mais « le jour où je serai contraint de vendre à un certain prix sur Internet », dit M.Renaud, le géant aura alors le champ libre pour offrir les plus bas prix.

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