L’étonnante carte de l’Arctique de Gérard Mercator

La carte Septentrionalium Terrarum descriptio (1595) de Gérard Mercator illustrant le pôle Nord, représenté par un rocher entouré d’eau, puis une surface en dur qui devait figurer non pas une terre ferme, mais une immense plaque de glaces flottantes, et enfin deux grands espaces d’eau libre en forme de croissant, qui expriment probablement la possibilité ou même l’espoir d’un passage du Nord-Ouest et d’un passage du Nord-Est.
Photo: Source Septentrion La carte Septentrionalium Terrarum descriptio (1595) de Gérard Mercator illustrant le pôle Nord, représenté par un rocher entouré d’eau, puis une surface en dur qui devait figurer non pas une terre ferme, mais une immense plaque de glaces flottantes, et enfin deux grands espaces d’eau libre en forme de croissant, qui expriment probablement la possibilité ou même l’espoir d’un passage du Nord-Ouest et d’un passage du Nord-Est.

En 2010, deux bibliothécaires de l’Université Laval, Stéfano Biondo et Joë Bouchard, découvrent par Internet chez un marchand de Prague un exemplaire original (1595) de la carte Septentrionalium Terrarum descriptio du grand cartographe flamand Gérard Mercator (1512-1594), illustrant et décrivant le pôle Nord, l’Arctique ainsi que les terres qui encerclent le « toit du monde ».


Conscients que les études nordiques constituent un des fers de lance de l’UL, ils contactent aussitôt le géographe Louis-Edmond Hamelin, « père » du concept de nordicité, qui les assure de l’extraordinaire richesse de ce document, auquel il a même consacré il y a longtemps une étude jamais publiée. Ils acquièrent alors le document et amorcent une collaboration étroite avec M. Hamelin. Cette complicité aboutit aujourd’hui à un ouvrage exceptionnel d’érudition et de vulgarisation scientifique, L’apparition du Nord selon Gérard Mercator, dont la remarquable présentation graphique se distingue tant par la qualité des illustrations que par la clarté et l’élégance de la mise en page.


À partir de la compréhension et de l’interprétation de cette carte primordiale pour l’étude du Nord, l’ouvrage propose au lecteur une véritable exploration du territoire arctique, tel qu’on le connaissait et qu’on l’imaginait il y a plus de 400 ans. En mettant à contribution des disciplines telles que la lexicologie, l’océanographie, la climatologie, la topographie, la toponymie et l’histoire ancienne, les auteurs tentent de mesurer le degré de précision et d’exactitude de la carte de Mercator, ainsi que l’étendue réelle des connaissances sur l’Arctique à l’époque de la Renaissance.


Leur conclusion est surprenante : « La planche polaire de Mercator ne provient ni d’une construction bizarre et fallacieuse ni d’emprunts à des situations des pays tempérés. Elle est une oeuvre d’une nordologie (étude du nord) précoce, l’illustration d’un savoir incomplet, mais bien plus développé qu’on a longtemps voulu le croire. » La carte Septentrionalium Terrarum descriptio, qui fait partie d’un atlas publié un an après la mort de Mercator, est non seulement attrayante et instructive, mais « fondatrice » des études nordiques, selon les auteurs. Mercator fut en somme un pionnier dans le long processus d’acquisition et de synthèse des connaissances sur l’hémisphère boréal.


Même si les représentations cartographiques du XVIe siècle étaient invariablement limitées par les lacunes documentaires, par le recours - obligé à l’époque - aux conceptions dépassées de l’Antiquité et par les restrictions religieuses et idéologiques de l’Inquisition, l’illustration et la description de l’Arctique et des territoires environnants par Mercator et d’autres après lui étonnent par leur relative justesse. Et cela grâce aux sources variées auxquelles avaient recours les grands cartographes de l’époque : cartes antérieures, récits publiés des explorateurs, mais aussi récits de première main des marins et des navigateurs.


Le lecteur découvrira avec stupéfaction chez Mercator « un savoir nordique en plein essor », avec la description entre autres du détroit de Béring (alors nommé Anian), du système hydrographique du fleuve Mackenzie (Cogib-Obila), du grand lac des Esclaves (Lago de Conibaz) et de la baie d’Hudson (Hic Mare). Les peuples autochtones qui habitent les territoires du Nord sont appelés « Canadenses », à la suite des découvertes de Jacques Cartier.


Quelle bonne idée enfin d’avoir publié la carte intégrale de Mercator au verso de la jaquette du volume, ainsi que d’en offrir gratuitement une version numérique sur le site Web de la bibliothèque de l’Université Laval. Et merci aux éditions du Septentrion pour ce travail d’édition impeccable !


 

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