Des nouvelles inédites en 140 caractères

Photo: Illustration: Christian Tiffet

Le message est entré dans une boîte de courriel un matin, en avance de plusieurs jours sur ce qu’avait annoncé son auteur, le romancier Michel Tremblay. À l’écran, les caractères portaient une bonne nouvelle, une nouvelle littéraire inédite, promise la veille au téléphone, après une courte conversation et surtout un éclat de rire. Il y avait là un brin d’humour, beaucoup de sentiments, de la finesse, et surtout, surtout, une économie tellement contemporaine de mots : « Il n’aurait pas dû me rappeler. Surtout pas prononcer cette phrase : « On peut tout effacer et recommencer à neuf. » Je l’ai envoyé paître. Pardonner oui, oublier, jamais ! » Tout était là.


À l’invitation du Devoir, le romancier et dramaturge québécois a accepté dans les dernières semaines une drôle de rencontre avec le présent : imaginer une histoire complète ne pouvant pas dépasser 140 caractères, espaces compris. La limite s’inspire du format de communication imposé par Twitter, un espace qui depuis 2006 cultive la dictature de l’instant, l’obsession de la concision, et qui influence désormais notre façon de nommer notre époque.


Michel Tremblay n’est d’ailleurs pas seul à avoir accepté cette création avec contrainte. Au total, 25 auteurs d’ici et d’ailleurs y ont pris part, dont Yann Martel, Kim Thúy, Nadine Bismuth, Jacques Godbout, Bernard Pivot, Alexandre Jardin, Catherine Mavrikakis, Fred Pellerin, Tahar Ben Jelloun, Samuel Archibald, pour ne nommer qu’eux, avec quelques constantes d’ailleurs : les vieux routiers de la littérature ont façonné leur récit plus rapidement que les jeunes, les précis sont revenus plusieurs fois sur leur nano-oeuvre, les inquiets ont douté, reculé, certains ont même tenté de s’échapper et les percutants ont trouvé un carré de sable idéal pour leur art.


Au final, l’aventure forme désormais un recueil de nouvelles inédites, dans un format improbable, qui, en cherchant à coller de près à la modernité, vient aussi explorer les frontières d’une littérature en mutation. À l’image de l’environnement culturel et social dans lequel cette littérature est façonnée. Forcément.

 

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25 auteurs pour une contrainte


Ils sont 25 et on les nomme: Alexandre Jardin, Michel Tremblay, Perrine Leblanc, Fanny Britt, Tonino Benacquista, Louis Hamelin, Kim Thúy, Patrick Senécal, Stéphane Bourguignon, Olga Duhamel-Noyer, Élisabeth Vonarburg, Samuel Archibald, Nicolas Dickner, Monique Proulx, Fabien Cloutier, David Homel, Patrick Nicol, India Desjardins, Fred Pellerin, Nadine Bismuth, Yann Martel, Tahar Ben Jelloun, Jacques Godbout, Bernard Pivot et Catherine Mavrikakis ont fait entrer leurs univers créatifs en moins de 140 caractères.

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Entre toi et moi, il y eut un coup de foudre suivi d’une vie ; ses hauts, ses bas. Désormais la mort, il ne reste que l’amour ; l’éternel.

Kim Thúy

 

La bouilloire sifflait à rendre l’eau. Dehors, l’été ; dans la fenêtre, de la neige lumineuse. Tous figés. La première tévé au village.

Fred Pellerin


La Terre ? Nous l’avons mangée hier.

Yann Martel


Il s’est réveillé plein de tristesse. On lui a dit : « T’es pas drôle. » Le lendemain, un homme s’est réveillé plein de tristesse. C’était pas le même.

Tahar Ben Jelloun


Enfin, elle partit pour Death Valley. À Zabriskie Point, la Terre s’était encore durcie. La planète semblait souffrir du même mal qu’elle.

Catherine Mavrikakis

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