Le monde onirique d’Andrew Kaufman
Le Torontois Andrew Kaufman est né à Wingham, en Ontario, tout comme Alice Munro. Cela fait de lui le second auteur le plus connu de ce village de 3000 habitants, écrit son éditeur, sourire en coin. Il a publié deux romans et un recueil de correspondance insolite. L’auteur est présent au Salon du livre de Montréal.
Disons-le d’entrée de jeu, la couverture donne littéralement le goût d’ouvrir Minuscule. Sous le crayon de l’illustrateur Tom Percival, les aigrettes d’un pissenlit s’envolent dans le ciel. L’image en noir et blanc, délicate, fantasmagorique, vient appuyer avec un humour décalé un texte onirique, teinté de réalisme magique.
Tout commence par un cambriolage à la British Bank of North America de Toronto. Un homme à l’accent britannique coiffé d’un extravagant chapeau violet demande à ses treize victimes de lui remettre l’objet qui a la plus grande valeur sentimentale à leurs yeux. Avant de disparaître, il prononce ces paroles étranges : « En sortant d’ici, je vais emporter 51 % de votre âme avec moi. Cela va se traduire par d’étranges conséquences dans vos vies. Mais voici le plus important - et il ne s’agit pas d’une métaphore : apprenez à faire repousser votre âme, ou vous mourrez. » Retenez cette dernière phrase. Elle renferme l’essence du livre.
Le lendemain du vol, donc, une série d’événements insolites se produit. Les victimes les subissent sans rien pouvoir contrôler, sans rien pouvoir riposter. Nancy Templeman plonge sa main dans la poitrine de son fiancé et lui arrache le coeur. Alors qu’elle cherche la télécommande sous le sofa, Jennyfer Layone trouve Dieu. Grace Gainsfield se réveille dans des draps glacés ; à côté d’elle, son mari est transformé en bonhomme de neige. Jenna Jacob, métamorphosée en sucre blanc zébré de menthe, est mangée tout rond par son mari, emporté par la passion. Dawn Michaels ressent une douleur au-dessus de la cheville, à l’endroit même où elle porte un lion tatoué ; le lion sort du tatouage et la poursuit.
Tour à tour, les récits farfelus s’imbriquent les uns dans les autres. Le bureau de Sam Livingstone se retrouve complètement submergé ; on le voit sortir de son bureau en nageant. David Bishop trouve sur le gazon 98 miniatures de sa mère vieillissante qui se fractionnent en d’autres unités microscopiques. Un grand morceau de l’histoire familiale - trois générations complètes de ratés - tombe du plafond de la cuisine et frappe la nuque du détective Phillips. Stacey Hinterland se met à rapetisser pour ne mesurer à la fin qu’une poignée de centimètres.
Avec ce roman très amusant à lire, Andrew Kaufman immerge le lecteur dans un monde onirique, dominé par l’absurde et la démesure, où la logique et l’irrationnel se succèdent dans la plus grande normalité. Certaines scènes rappellent The Shrinking Man (Richard Matheson), Jimanji (Chris Van Allsburg) ou Through the Looking-Glass (Lewis Carroll). Beaucoup plus profond qu’il n’y paraît, Minuscule combine l’imaginaire délirant de l’auteur à des préoccupations philosophiques. Quel sens doit-on donner à sa vie ? Cette fable moderne recouvre une variété de thèmes : quête spirituelle, filiation, doutes, passions, amours chambranlantes, folie, vieillesse, mort. Le tout avec un humour qui traduit le désespoir de ses personnages, trouvant dans l’autodérision une façon de continuer à exister tout en évacuant leur peur de vivre. Très habile.
Minuscule est un roman qui se lit de bout en bout. D’autant qu’il est plutôt court et que le rythme est soutenu. Une lecture rafraîchissante et d’une incroyable drôlerie. Une fois le roman refermé, un certain sourire continue à flotter dans l’air.
Collaboratrice