Les deux morts de Pierre Laporte

Avocat, journaliste et homme politique québécois, Pierre Laporte a occupé différentes fonctions ministérielles au sein des gouvernements Lesage et Bourassa.
Photo: Télé-Québec Avocat, journaliste et homme politique québécois, Pierre Laporte a occupé différentes fonctions ministérielles au sein des gouvernements Lesage et Bourassa.

Québec - Pierre Laporte a été assassiné deux fois, conclut Jean-Charles Panneton dans la biographie du politicien martyr de la Crise d’octobre 1970. Une première fois par les « ravisseurs voyous » (le mot est de l’efficace préfacier Gilles Lesage) de la cellule felquiste des frères Rose. Une seconde fois par l’oubli dans lequel on l’a plongé - sorte de refus de se souvenir de ce journaliste et politicien fougueux, mais soupçonné d’avoir frayé avec le monde interlope. « Certains théoriciens du complot, comme Pierre Vallières, laissent entendre qu’il l’aurait presque cherchée, sa première mort », s’indigne Panneton.

La biographie de Panneton est la première réelle consacrée à cet ancien journaliste du Devoir (il y travailla pendant 16 ans), qui se joignit à l’équipe du tonnerre de Jean Lesage en 1961 et fut ministre des Affaires municipales, du Travail, de l’Immigration et des Affaires culturelles.


C’est en préparant un précédent ouvrage sur Georges-Émile Lapalme, chef du Parti libéral de 1950 à 1958, que le projet d’une biographie sur Pierre Laporte s’est imposé à lui. « Son nom revenait tout le temps. Ç’a stimulé ma curiosité d’historien. » Panneton n’a toutefois pas eu envie d’enquêter sur la mort de Laporte, c’eût été refaire le travail d’autres limiers, dont ceux de la commission Duchaine qui, à ses yeux, ont vidé la question. Jean-Charles Panneton croyait au surplus que la mort tragique de Laporte avait occulté un parcours fascinant, révélateur d’un Québec prenant un grand virage. Il a donc préféré retracer l’ensemble de la trajectoire de l’homme, de manière chronologique, à partir de son enfance de fils de médecin.


Mort prématurée et mafia


Puisqu’il refuse de réduire l’homme à son rôle de victime politique, il consacre à cet épisode ultime moins de 10 pages, dont une grande partie est occupée par la reproduction intégrale des touchantes dernières lettres de Laporte à Robert Bourassa et à son épouse Françoise.


Panneton se veut plus disert sur l’autre controverse, celle des présumés liens de Pierre Laporte avec la mafia. L’affaire a éclaté en 1972 à l’Assemblée nationale après la mort de Laporte. C’est un autre journaliste du Devoir, Jean-Pierre Charbonneau, qui obtint une confidence d’un policier, lequel avait eu accès à des documents d’écoute électronique. « Sur ceux-ci, ce n’est pas Laporte qu’on entend », précise M. Panneton. Encore aujourd’hui, l’ex-enquêteur Claude Lavallée soutient que les policiers étaient à un cheveu d’arrêter Pierre Laporte.


À l’époque, Jean-Pierre Charbonneau ne réussit pas à convaincre le directeur du Devoir, Claude Ryan, de publier le texte. Ce dernier dit refuser qu’on entache la réputation d’un homme qui, évidemment, ne peut pas se défendre. Le journaliste offrira alors le dossier au député péquiste Robert Burns, qui questionne le gouvernement sur le sujet et fait donc éclater l’affaire. Charbonneau était désormais dédouané et pouvait écrire sur le sujet.


Panneton, après avoir épluché les archives, dit « ne pas douter une minute de l’intégrité » de Pierre Laporte. Il rappelle que Laporte avait fait partie du Comité de moralité publique et que, durant toute sa carrière politique, il avait combattu le « coquin », pour reprendre le mot célèbre d’Henri Bourassa.


Selon le biographe, les lettres du député Laporte aux procureurs généraux sont claires : « Il fait plusieurs suivis sur toute la question des maisons de jeu illégales. » Dans sa circonscription de Chambly, il réclame la fermeture d’un endroit célèbre pour les mauvaises raisons, le Victoria Sporting Club, propriété de Frank Dasti. « Il demeurait toujours très intègre - à mon avis par conviction -, en guerre contre les maisons closes », insiste Jean-Charles Panneton. Comme ministre des Affaires municipales, Pierre Laporte s’attaque aussi à Léo-Aldéo Rémillard, maire de Ville Jacques-Cartier, qu’il juge corrompu.


En août 1973, Robert Bourassa mandate la Commission de police pour faire la lumière sur « l’affaire Laporte », qui finira par disculper de manière posthume le ministre assassiné. Laporte aurait bien rencontré à deux reprises les DiIorio et Dasti, mais n’aurait pas reçu d’argent de leur part. Parmi les créanciers de Françoise Laporte, note Panneton, les enquêteurs de la Commission « n’ont retracé aucun nom de personnes provenant d’un milieu douteux ».


De plus, en 1974, ajoute M. Panneton, la Commission d’enquête sur le crime organisé innocente Pierre Laporte tout en blâmant « sévèrement » plusieurs de ses collaborateurs, comme MM. Jean-René Gagnon, Jean-Jacques Côté et Guy Leduc (député de Taillon), lesquels ont fait affaire à maintes reprises en 1970 et dans les années suivantes avec MM. Frank Dasti et Nicolas Di Iorio, « deux membres reconnus de l’interlope montréalais », écrit Jean-Charles Panneton. « Dans le cas de Gagnon et Côté, les commissaires enquêteurs, après avoir analysé les rapports étroits qu’ils entretenaient avec des membres importants du monde interlope, en concluent que leur comportement s’assimile pour le moins à un début de conspiration et d’incitation à commettre des infractions criminelles. »

 

Un pont, est-ce assez ?


Par ailleurs, s’il avait vécu, quel camp, sur la question nationale, Pierre Laporte aurait-il choisi ? Celui d’un autre ministre de Robert Bourassa, Jean-Paul L’Allier, qui deviendra souverainiste en 1980 ? Ou celui de son ancien patron Claude Ryan, qui optera pour le « fédéralisme renouvelé » ? M. Panneton, réfractaire à « l’histoire hypothétique », affirme toutefois que Laporte aurait sans doute pris un « virage clair » vers le nationalisme. De son vivant, Laporte avait pourtant suivi Jean Lesage dans son option fédéraliste, appuyé Pierre Elliott Trudeau lors de la course à la chefferie du PLC en 1968, voté en faveur du « Bill 63 » de Jean-Jacques Bertrand, « après l’avoir fait amender », souligne M. Panneton. « Il demeurait un néo-nationaliste à la André Laurendeau », ce qui fait croire qu’il aurait davantage suivi Ryan que Trudeau, et plutôt Ryan que L’Allier.


Dans son efficace préface, le correspondant parlementaire du Devoir à la retraite Gilles Lesage défend la thèse selon laquelle le Pierre Laporte politicien a malheureusement fait oublier le Laporte journaliste. Jean-Charles Panneton soutient d’ailleurs que la carrière de journaliste de Laporte est une réussite éclatante comparativement à sa carrière politique. Celle-ci est parsemée de décisions contestables et d’échecs éclatants, comme cette course à la chefferie ruineuse. En journalisme, en revanche, il innove, notamment comme journaliste d’enquête. Un de ses faits d’armes principaux est évidemment d’avoir fait éclater le scandale du gaz naturel dans les pages du Devoir. Or, s’il y a, entre autres, un pont qui porte son nom, rien, à la Tribune de la presse à Québec, « ne rappelle le rôle déterminant de celui qui a trimé dur pendant un quart de siècle à Québec, même pas une petite salle de presse à son nom », déplore Gilles Lesage en préface. L’édifice qui loge la Tribune porte le nom d’André Laurendeau alors que ce dernier n’a jamais été correspondant parlementaire. Pour Jean-Charles Panneton, Pierre Laporte méritait bien une biographie digne de ce nom. Reste maintenant à trouver un endroit à la Tribune de la presse pour honorer sa mémoire, croit-il.

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