Longchamps sur la tombe de Nelly Arcan

Dans les pages les plus touchantes, Longchamps insinue que Nelly Arcan, cette Isabelle Fortier de Lac-Mégantic devenue Montréalaise d’adoption, personnifie la déchirure tragique qui sépare l’hinterland de la métropole.
Photo: Jacques Grenier Archives Le Devoir Dans les pages les plus touchantes, Longchamps insinue que Nelly Arcan, cette Isabelle Fortier de Lac-Mégantic devenue Montréalaise d’adoption, personnifie la déchirure tragique qui sépare l’hinterland de la métropole.

Depuis 1994, à travers ses chroniques de la revue Nuit blanche, le poète beauceron Renaud Longchamps nous révèle, sur lui, sa vision du pays et de la littérature, des choses que ses vers, pourtant admirables, n'expriment pas avec autant de crudité. En 2011, il écrit: «Le Bloc québécois, un parti montréalais, vient de se faire écraser par d'étranges oranges...» Voix du Québec profond, Longchamps réprimande Montréal...

Réunis sous le titre Dans la nuit blanche et noire, les essais de Longchamps évoquent le déclin de l'indépendantisme en l'associant au fossé à la fois social et littéraire qui se creuse, selon lui, entre la métropole et l'arrière-pays. Dirigés de Montréal, les partis souverainistes n'ont plus, croit-il, l'ensemble du Québec dans le sang.

Le poète de Saint-Éphrem-de-Beauce explique: «On ne peut mépriser éternellement l'hinterland tout en le courtisant quelques jours avant les élections, juste assez pour que quelques ruraux surexcités se transforment en chair à élections.» Mais son attachement au Québec profond n'échappe pas à une fascinante ambiguïté.

De son éditeur et ami Victor-Lévy Beaulieu, autre passionné des régions, il retient ce mot terrible: «Dans un premier temps, l'écriture est une vengeance contre sa propre famille.» S'il ne pense qu'avec nostalgie à son père, «notable» ruiné, mort lorsqu'il avait seulement neuf ans, s'il se montre compatissant à l'endroit de sa mère que le mari laissa, nécessiteuse, avec 14 enfants, il qualifie son «frère et voisin» d'entrepreneur «millionnaire, ignare, inculte».

Dans les pages les plus touchantes, Longchamps insinue que Nelly Arcan, cette Isabelle Fortier de Lac-Mégantic devenue Montréalaise d'adoption, personnifie la déchirure tragique qui sépare l'hinterland de la métropole. Peu après le suicide de la romancière en 2009, il roule le long de la rivière Chaudière pour aller se recueillir sur les restes de celle qui, par-delà la mort, vient de retrouver sa petite patrie.

«Nous soupirons, écrit-il, sur le Québec qui se défait [...] sur Nelly Arcan qui a décidé de le déshabiter de son impérieuse beauté urbaine, empruntée à la nécessité de paraître avant de disparaître.» Dès 1994, en commentant Va savoir de Réjean Ducharme, Longchamps perçoit le déclin de notre société jusque dans sa dimension littéraire.

Ce roman «à la médiocrité inspirée», propre à «un génie fatigué», l'afflige. En 2011, il avoue relire depuis plus de 35 ans, chaque automne, L'hiver de force, autre livre de Ducharme. Il résume: «Je sens mon torse se recouvrir d'une camisole parfaitement ajustée à mon insignifiance collective.»

Par l'amour équivoque de sa Beauce natale, région si peu indépendantiste, Longchamps fait de son drame personnel élargi à la nation le reflet du duel entre Montréal l'imprévisible et un Québec intériorisé, stable comme le roc.

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Collaborateur du Devoir

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