Littérature québécoise - Emma, Samia, Lama et les autres

Militante des droits de la personne, Monia Mazigh, d'origine tunisienne, a immigré au Canada en 1991 pour ses études. Doctorante en finance, elle s'est surtout fait connaître sur la scène médiatique pour avoir défendu l'innocence de son mari Maher Arar, renvoyé des États-Unis vers les prisons syriennes où il fut torturé. Elle a relaté cette expérience dans un livre-combat: Les larmes emprisonnées (Boréal, 2008). Avec Miroirs et mirages, elle s'écarte du militantisme pour faire œuvre de création en fondant dans l'univers imaginaire la vie réelle de ses personnages.

Roman choral, Miroirs et mirages met en scène des immigrantes musulmanes venues d'Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d'Asie qui vivent le dilemme de l'intégration et de la visibilité de leur foi. Gardiennes des traditions, elles souhaitent voir leurs filles s'émanciper dans le respect des valeurs de l'islam au sein de cette nouvelle société occidentale où l'égalité entre les hommes et les femmes semble une valeur reconnue et respectée. Elles s'appellent Emma, Samia, Fauzia, Lama, Sally et Louise. Chacune a une histoire.

Emma, Tunisienne, ingénieure en informatique, divorcée, avec une fillette de neuf ans, sans emploi, refuse de s'apitoyer sur son sort. Elle désire se frayer un chemin dans ce monde, se réinventer une nouvelle vie. Sa destinée croise celle de Samia, Koweitienne d'origine palestinienne, une bourgeoise qui s'est construit un semblant de normalité, menant une vie artificielle calquée sur le mode de vie occidental, se coupant de ses racines. Il est difficile pour ces femmes de s'adapter, mais elles trouvent des complices, des confidentes, des amies.

De prime abord, les relations avec leurs filles sont tendues. Celles-ci portent le voile, voire le niqab, étudient à l'université, sont spontanées, ouvertes d'esprit, se questionnent sur la façon de vivre leur foi. Lama, fille aînée de Samia, en rébellion intérieure, tente de s'affranchir «des principes archaïques et vétustes au nom de la religion» de la culture musulmane. Sally, Pakistanaise, ne veut pas de la vie moderne et superficielle de ses parents. «Technigirl» de son temps, elle consulte des imams sur des sites musulmans, lit avec ferveur leurs sermons rigoristes. Jusqu'au jour où elle reçoit un message d'amour qui va inverser le cours de sa vie.

Entre passion et raison

Le portrait de Louise, une Canadienne convertie à l'islam, interpelle. En devenant musulmane, Louise fait revenir le spectre d'un passé lugubre chez sa mère, dont l'enfance a été dominée par la religion. Aujourd'hui a-thée, elle est persuadée que sa fille est sous influence et que sa conversion est un signe de soumission, d'asservissement. Dans les faits, Louise traverse une crise identitaire: éduquée en dehors de toute religion, elle a une soif à étancher. Tourmentée entre son amour pour sa mère et sa nouvelle vie de musulmane, elle répète qu'elle n'est pas sous emprise, qu'elle cherche à équilibrer sa vie avec sa quête spirituelle. Nous avons, d'un côté, une mère qui témoigne de son vécu de manière très émotive et, de l'autre, sa fille qui propose un discours argumenté et raisonné.

À l'heure où les débats autour du voile ne font pas l'unanimité — le voile est perçu par plusieurs intellectuels comme un symbole de l'oppression de la femme, un emblème politique —, Monia Mazigh refuse d'ériger des barrières et tente de créer avec son roman un espace de dialogue. À la fois analyse sociale et peinture intimiste, Miroirs et mirages évoque les questions identitaires auxquelles les femmes immigrantes de religion musulmane sont sans cesse confrontées. Leur situation a souvent été évoquée dans des ouvrages à portée sociologique qui ne prennent bien souvent qu'insuffisamment en compte les données humaines que retranscrivent ces témoignages, ce que permet l'oeuvre romanesque.

Monia Mazigh voyage à l'horizon des mots, avec un souci de la langue française, de sa puissance voilée, impose son style et sa signature, avec comme particularité une sensibilité débordante. Quand le récit de vie devient une expression de la réalité, la fiction, celle du rêve et du changement, et l'écriture, un espace de liberté.

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Collaboratrice du Devoir

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Miroirs et mirages
Monia Mazigh
Éditions L'Interligne,
coll. «Vertiges»
Ottawa, 2011, 296 pages

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