Histoire - Notre radio et le son du théâtre

On entend la respiration, les pas d'un marathonien qui court et son monologue intérieur: «Le vieux Marvaux n'est pas fini... Il y a ce doux soleil qui peint des midis d'or devant mes yeux...» Le bruit d'une locomotive se change en paroles de femme jalouse: «Marié... marié... marié...» Marvaux répond: «Je suis marié... et alors?» Moteur d'hélicoptère. «Je monte... je viens de mourir», dit-il sans sa nièce de 17 ans dans les bras.
Ces passages du Coureur de marathon, de Claude Gauvreau, dramatique diffusée en 1951 sur les ondes de CBF et dont on retrouve le texte dans Écrits du Canada français (1958), permettent de saisir un art neuf mais vite dépassé après l'avènement de la télévision. Renée Legris le décrit avec érudition et nostalgie dans son Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise (1923-2008).La chercheuse assimile cet art au «langage des bruits», cher au Français Pierre Schaeffer (1910-1995), musicien d'avant-garde et ingénieur du son. Elle témoigne d'une grande finesse en donnant l'exemple du Coureur de marathon, lorsqu'on sait que Marvaux, conscient d'avoir une lésion au coeur, court quand même et que des voix intérieures lui font accepter la mort comme une délivrance.
Résonnent la voix de sa femme jalouse, celle d'un notaire, vite changée en aboiements, celle de sa nièce qui lui réclame de l'argent en lui apprenant qu'elle est amoureuse d'un jeune homme qu'elle veut épouser, les pas des autres coureurs transformés en piétinements de buffles. Les sons, avec l'énergie du désespoir, tentent de dépeindre le drame en l'intériorisant, mieux que ne saurait le faire l'image.
Dans Les Hautes Pierres (1960), d'Yves Thériault, la respiration haletante d'un homme illustre la première scène et brise les tabous en suggérant, comme le précise l'historienne de notre dramaturgie radiophonique, «la rencontre de deux amants dans une expérience de coït». Le son inusité qui s'accélère annonce l'affrontement entre un village replié sur lui-même et celui qui, par la séduction d'une femme, secoue le monde rural avant de se jeter dans le vide pour échapper au lynchage.
La parole nue a aussi sa place. Dans Les Cartes de crédit (1973), de Jacques Ferron, à un truand qui, par de fausses cartes bancaires, veut financer la lutte pour l'indépendance du Québec, un médecin, ressemblant à l'auteur, déclare: «Il n'y a pas de révolution à faire, il n'y a que des révolutions faites.» C'est dire qu'il faut laisser croître la liberté déjà semée.
Parallèlement à la télé qui assuma la dimension théâtrale de la radio au point où CBF finira par éliminer les dramatiques de sa programmation, la Révolution tranquille fit du Québec la terre à redéfinir et à moderniser que Ferron avait la clairvoyance d'imaginer. Si sublime fût-il, pourquoi le son aurait-il eu à craindre, comme le sous-entend Renée Legris, la nouveauté de l'image?
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Collaborateur du Devoir