Montréal au temps du vice et des affaires louches

Durant les premières décennies du XXe siècle, «Montréal, ville ouverte» constituait l'une des métropoles les plus corrompues de l'Amérique du Nord avec son Red Light, ces centaines de maisons de jeu et de paris illégaux, ces célèbres «barbottes», ces loteries clandestines et son système de copinage entre les gangsters et les autorités. Pendant que les caïds de la pègre engrangeaient des millions, l'administration municipale devait faire preuve d'inventivité en matière de fiscalité sur fond de crise budgétaire quasi permanente. La légalisation des jeux de hasard et des loteries, qui représentait un intéressant potentiel fiscal, devint un enjeu important, souligne Magaly Brodeur dans ce bref essai.

L'auteure explore un aspect méconnu de l'historiographie montréalaise et québécoise en s'intéressant aux incidences politiques et socioéconomiques de la prohibition des jeux de hasard et d'argent au sein de la ville entre 1892, date d'entrée en vigueur de l'interdiction des jeux au Canada, et 1970, année de la création de Loto-Québec. Elle décrit aussi le contexte économique et législatif qui a favorisé la légalisation du jeu en tant que source de financement municipal, puis provincial.

Plusieurs individus jouèrent un rôle déterminant au cours de ces décennies qui virent le statut du jeu passer progressivement de vice crapuleux à un loisir encadré par l'État. Le maire Camilien Houde lança une campagne en faveur de la légalisation des jeux de hasard dès 1928 afin de combler le déficit financier qui minait la métropole. Quelque vingt ans plus tard, Pacifique Plante incarna la figure d'un Eliot Ness québécois. À titre de directeur adjoint de l'escouade de la moralité de la police de Montréal, il procéda au «nettoyage» de la ville et arrêta Harry Ship, le «roi» de la pègre montréalaise. Sa retentissante série d'articles publiés dans Le Devoir mit au jour le monde du crime organisé qui sévissait aux quatre coins de la cité à la fin des années 1940. Incontournable source journalistique, Magaly Brodeur s'y réfère abondamment, ainsi qu'à des documents d'archives juridiques et municipales, dont le fond du service des finances et du contrôle budgétaire. Celui-ci comprend les dossiers sur la «taxe volontaire» de Jean Drapeau, autre pourfendeur de la corruption et de la pègre.

Ce livre est issu d'un mémoire de maîtrise en histoire qui a valu à son auteure le prix Chercheur-Auteur de la relève 2010 remis par l'ENAP. Malgré sa forme scolaire, il propose un détour historique documenté, éclairant et fort à-propos, alors que les questions de la lutte contre la corruption et le crime organisé, de la gestion responsable de l'offre de jeu par Loto-Québec et celle du financement des dépenses publiques occupent plus que jamais l'actualité.

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Collaborateur du Devoir

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Vice et corruption à Montréal 1892-1970
Magaly Brodeur
Presses de l'Université du Québec
Québec, 2011, 129 pages

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