Entrevue avec Rachel Leclerc - «Parfois, le personnage est trop petit pour moi»

Comme son premier roman Noces de sable (Boréal), La Patience des fantômes est un faux roman historique. Une vraie saga familiale, même si Rachel Leclerc, les joues rosies par le froid de canard et la timidité devant la photographe du Devoir, reconnaît avoir du mal à assumer l'étiquette.

«C'est vrai que c'est l'histoire d'une famille», confirme l'auteure à propos de ce récit composé d'inventions et d'anecdotes familiales. Trône sur le passé gaspésien des Levasseur ce Joachim, self-made man obsédé de la sécurité financière des siens, tour à tour caboteur, vendeur d'assurances, exploiteur minier, chercheur d'or. Un personnage? Surtout le grand-père paternel de Leclerc, «un homme plus grand que nature. Il s'est enrichi et a enrichi ses enfants. J'ai grandi dans de très belles maisons en Gaspésie», rappelle-t-elle.

L'auteure n'a pas trouvé aisée la conciliation fiction-famille. Exagérant des souvenirs, en gommant d'autres, elle a posé ses choix d'auteure. «Comme certains personnages sont réels, j'ai eu du mal à leur donner une dimension romanesque. Ça devenait lourd par moments de convoquer la famille. J'ai grossi des traits, botté quelques derrières qui le méritaient. J'ai parfois beurré épais, mais il faut exagérer quand on fait du roman.»

En création, Rachel Leclerc se relit de façon obsessive, se laisse guider par l'écriture, la réflexion sur l'écriture et la curiosité envers ses personnages. La structure de La Patience des fantômes, en découpages et voyages dans le temps, l'a fait travailler dur, jusqu'à douter de la nécessité de publier. «Pour moi, c'est le moins bon de mes quatre romans.» Les premières critiques (voir dans cette même page le texte de Danielle Laurin) l'ont rassurée.

«Parfois, le personnage est trop petit pour moi, confesse Rachel Leclerc. J'ai tendance à en déborder. Il m'arrive de le laisser m'entraîner dans la philosophie. J'ai tendance à être moralisatrice alors que ce que je cherche, c'est une réflexion sur l'écriture.» Reste au final des traces de cette lutte. «Seule sur sa montagne d'incertitudes, écrit-elle, Émilie se défaisait des derniers lambeaux de volontarisme, de culpabilité ou de paresse mentale qui nous empêchent de goûter l'art chaque jour comme une nourriture vitale et de l'apprécier pour ce qu'il est: l'unique expression de notre douleur et de notre joie, de notre intelligence, de notre stupeur devant le cruel humour de Dieu, une vasque remplie de nos larmes et de nos rires, l'une des rares valeurs qui, pour ce qui me concerne en tout cas, nous justifiera d'avoir été du côté de la vie plutôt que de la mort.»

Celle pour qui le grand écrivain féminin québécois serait un hybride parfait entre Anne Hébert et Marie-Claire Blais, oscille, comme un de ses maîtres, entre le roman et le poème, qui l'a happée quand elle avait quinze ans. «Ça demeure pour moi synonyme de jeunesse, de déversement, plus spontané que le roman. Le poème est un éclair de lucidité.» Elle y retombe, pour «se reposer», après chaque récit. «La poésie s'écrit un poème à la fois. La satisfaction est immédiate.» Elle a déjà commencé un nouveau recueil, qu'elle imagine volumineux, mais hésite: un des Levasseur refuse de se laisser oublier, et Rachel Leclerc pense, pour une fois, enchaîner un deuxième roman, même si l'exercice la laisse épuisée.

Foin pourtant de l'écrivain torturé: «Écrire un livre est tellement joyeux, tellement libérateur. Ça apporte un équilibre. Ça guérit d'une chose que je ne veux pas nommer névrose.» «Les petites histoires sont bien plus tenaces que la grande histoire, écrit-elle, elles impliquent surtout des blessures qui se transforment en mythes personnels et en forces obscures devant lesquels il faut s'incliner.»

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