Littérature jeunesse - Découvrir et vivre Octobre 70

«Revenir sur le passé fait partie d'une absolue nécessité pour toute société, et le Québec est loin d'abuser de cet exercice», écrivait notre rédactrice en chef Josée Boileau dans son éditorial du 4 octobre dernier, en nous invitant à profiter de toutes les occasions pour explorer notre passé. «C'est notre histoire, elle est passionnante, et nous sommes les seuls à pouvoir la raconter», ajoutait-elle.

Or, pendant que nous som-mes plusieurs à replonger avec intérêt dans les événements d'Octobre 70 pour mieux les comprendre et mesurer le chemin depuis parcouru, les jeunes Québécois, eux, continuent de les ignorer avec indifférence. Comment faire pour renverser cette inculture historique, nuisible à l'évolution d'un peuple? La littérature jeunesse à teneur historique peut être un outil de choix dans cette mission.

Il n'est pas facile de faire aimer le passé aux enfants et aux adolescents. Pour y arriver, il faut l'humaniser, le rendre vivant, c'est-à-dire transformer l'Histoire en histoires. À 10 ou 11 ans, je ne suis pas sûr que j'aurais supporté une leçon sur l'esclavage. J'ai pourtant lu une version pour jeunes de La Case de l'oncle Tom, le classique de Harriet Beecher-Stowe, qui m'a fasciné, bouleversé et marqué pour la vie. Cette lecture m'a prémuni contre le racisme pour le restant de mes jours. Il y a là une piste.

Les enjeux de la Crise

C'est celle qu'empruntent deux romanciers québécois pour faire découvrir et vivre Octobre 70 aux jeunes. Mesures de guerre, d'André Marois, met en vedette le petit Gabriel, qui a 10 ans et habite le Plateau Mont-Royal, dans la tourmente des mesures de guerre. L'enfant est impressionné par les militaires qui débarquent dans son quartier, mais son amusement se transforme vite en inquiétude quand sont arrêtés le père d'un de ses amis et le frère indépendantiste d'une autre. À la radio de CKAC, qu'écoutent ses parents, on parle d'otages. Aussi, quand, en jouant à la guerre dans la ruelle, Gabriel découvre une femme ligotée dans un appartement, il se sent investi d'une mission.

À partir de ce scénario simple, mais original et captivant, Marois entraîne son lecteur vers les enjeux de la Crise. Les soeurs jumelles de Gabriel, qui achèvent leur secondaire, incarnent les réactions contradictoires des Québécois aux événements. L'une comprend les actions du FLQ et condamne les mesures de guerre («c'est pour nous empêcher d'exister»), alors que l'autre lui réplique que «c'est pas en étant violent qu'on fait avancer les choses». Gabriel, lui, apprend que les choses ne sont pas simples.

Une leçon d'histoire

21 jours en octobre, de Magali Favre, s'adresse à un public adolescent. Son personnage principal, Gaétan Simard, a 15 ans, habite le Faubourg à m'lasse et vient de lâcher l'école pour entrer à la Dominion Textile. Il termine sa première semaine de travail le 16 octobre 1970, au moment de la proclamation de la Loi sur les mesures de guerre.

Peu politisé jusque-là, le jeune homme vivra les événements qui suivront comme un cours de sciences politiques obligatoire et en accéléré. Son meilleur ami, syndicaliste engagé dans la lutte pour l'usage du français au travail, est arrêté le jour même. Gaétan n'y com-prend rien. Chez lui, sa mère, qui aurait souhaité qu'il apprenne l'anglais et fasse un cours commercial pour s'en sortir, blâme les «maudits felquistes», pendant que son père, ouvrier accidenté et engagé dans une association de quartier qui se bat contre les démolitions dans le Faubourg, râle contre les autorités pourries.

Le jeune ouvrier commence à lire Le Journal de Montréal pour s'informer et rencontre, par hasard, une étudiante du cégep du Vieux-Montréal. Cette jeune militante l'attire, mais tient un discours d'extrême gauche que Gaétan trouve déconnecté de la réalité. Grâce à elle, il découvre toutefois les thèses des Nègres blancs d'Amérique de Vallières et le Bozo-les-culottes de Raymond Lévesque, qui lui font enfin comprendre l'aigreur de ses parents et sa propre situation.

Traîné par sa blonde à une conférence de Gaston Miron sur la langue, une activité qu'il croit ne pas être pour lui, Gaétan reçoit les mots du poète comme une révélation. «Il découvre que d'être capable de mettre des mots sur une souffrance, c'est déjà en atténuer la douleur. C'est déjà commencer à se reconstruire.» Vingt-et-un jours après la proclamation des mesures de guerre, Gaétan sait qu'il veut changer le monde «sans changer de monde», parce qu'il aime les siens.

En revisitant avec nuance et humanité cet Octobre tendu sur fond d'effervescence culturelle et de prise de conscience collective, Magali Favre offre aux adolescents québécois une belle leçon d'histoire et d'espérance.

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Collaborateur du Devoir

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Mesures de guerre
André Marois

21 jours en octobre
Magali Favre

Boréal
Montréal, 2010, respectivement 112 et 150 pages

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