Essai - Images de femmes tondues

Photo de femmes tondues à la Libération, illustrant la couverture du livre de Julie Desmarais
Photo: Source PUL Photo de femmes tondues à la Libération, illustrant la couverture du livre de Julie Desmarais

La Seconde Guerre mondiale occupe une place relativement importante du paysage mémoriel, médiatique et éditorial dans le monde anglo-saxon, en France et, depuis quelques années, au Québec. En cette année fertile en commémorations, les Presses de l'Université Laval publient l'intéressant essai de la jeune historienne Julie Desmarais portant sur le phénomène des femmes tondues à la libération de la France.

Femmes tondues présente d'abord les faits sans y apporter un éclairage nouveau. Elles furent plus de 20 000, de 1943 à 1946. Le crâne rasé, déambulant sur la place publique devant une foule hostile, elles étaient accusées par leurs compatriotes d'avoir entretenu des relations sexuelles avec l'occupant allemand en échange d'avantages matériels. L'image de la «collaboratrice horizontale» incarne la défaite absolue de la France que les acteurs de la Libération voulaient venger. Pour ce faire, on utilisa le corps de la femme et le symbole de son pouvoir séducteur: les cheveux.

L'auteure rapporte avec justesse que les tondues furent de tous âges et de toutes professions, sauf la prostituée, qui fut épargnée. Des motifs économiques, politiques ou des causes indéterminées, fondées souvent sur la rumeur, étaient aussi évoqués. Des hommes uniquement furent les juges et bourreaux. Pour l'historienne, le rituel de la tonte peut être interprété comme le «retour en force du genre masculin en territoire français. [Il peut] servir à marquer ce passage où les hommes annoncent qu'ils sont prêts à retrouver leurs rôles et que les femmes doivent reprendre leurs responsabilités traditionnelles».

Une solide synthèse


Plus des deux tiers du livre constituent une solide synthèse des acquis sur le sujet, fondée, entre autres, sur les ouvrages pionniers d'Alain Brossat (Les Tondues. Un carnaval moche, 1992) et de Fabrice Virgili (La France «virile». Des femmes tondues à la Libéation, 2000). Le propos se veut plus novateur lorsqu'il aborde les images de la femme tondue dans une cinquantaine d'oeuvres littéraires et scientifiques publiées entre 1942 et 2005.

Aucun texte inédit n'est présenté, mais une lecture originale de l'ensemble est développée. Les trois portraits proposés démontrent bien le net décalage entre l'événement et ses représentations, une notion floue que l'auteure ne précise pas. Après la guerre triompha l'image de la tondue coupable d'avoir trahi la France, puis entre 1970 et 2005, les textes décrivirent une tondue amoureuse, punie à cause de ses sentiments, et victime des excès du temps. L'évolution des mentalités françaises est telle, soutient l'auteure, que l'image de la tondue se trouve aujourd'hui à l'opposé de celle qui prévalait dans l'immédiat après-guerre.

Ce bref essai, dont le style nous rappelle qu'il a d'abord été un mémoire de maîtrise, montre combien la libération de la France fut une époque de joie, mais aussi de débordements. Les femmes tondues en sont une manifestation choquante, pourrions-nous dire, plus de soixante-cinq ans après l'événement.

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Collaborateur du Devoir

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