Poésie - Laissez-les vous conter...

Il est de ces recueils qu'on aurait le goût d'entendre tant la langue en est pétrie aux sons de l'oralité qui les fait sourdre d'un lieu palpable, vivant. Tel est le cas des recueils d'Erika Soucy et de Dominic Langlois, qui tricotent le langage à même leur terre nourricière, dans un style qu'on aurait pu croire perdu dans la modernité tous azimuts. Mais non. On réentend Jean Narrache, Gérald Godin ou Victor-Lévy Beaulieu lui-même en leur parlure de circonstance.

Erika Soucy réussit cet exploit de fondre gravité et confidence, dosant avec efficacité la vie quotidienne et la souffrance universelle dont elle témoigne. «tu devineras les pages / qui racontent nos bassesses / les restes de la chanson / de la fillette qui pleure // vas-tu me parler pour vrai», implore-t-elle du plus lointain de sa Côte-Nord, rappelant, en un écho profond, la chanson La Manic de Georges Dor. Mais il y a plus, qui fait frémir d'émotion, là où elle raconte, avec une simplicité désarmante, le désarroi d'une petite fille: «t'allais te chauffer le cul / à coups de grosses indiennes / qui t'appelaient papa / et moi qui t'enviais / parce que tu prenais l'avion "tu vas r'venir avec une surprise?"» Sans doute voulait-il «chercher l'or / dans le creux des femmes».

Que ce soit «des petits drames au caramel» au moment de Noël, ou quand vient le temps de constater «oh combien la vie est une salope», le ton est toujours juste et percutant. Par exemple, quand la mère ne peut souligner l'anniversaire de sa fille car, vive et déplorable, s'impose «sa petite misère blanche comme sa face / devant le compte d'hydro»; rien à faire, en effet, comme le constate l'auteure: «nous portions la côte-nord / nos fenêtres de pauvres / faisaient geler les larmes».

Et là, dans ce style direct et sans fioritures, quelque élégance, parfois, quand l'auteure s'amuse à écrire des strophes ou des poèmes en vers comptés de six pieds. Recueil intense et fort que celui-ci, qui mérite toute notre attention.

Québec-ruelles

De la même eau, mais investissant plus encore l'oralité, Mener du train de Dominic Langlois nous transporte dans une espèce de journal poétique du tout-venant des enfances québécoises, en une époque pas aussi révolue qu'on le croirait. Allons, rendons-nous allègrement près de «L'église / La tabagie / La côte à patoche / Pis l'cordonnier // Le monde entier / En équilibre / Su' quatre coins de rue». Revoyons-y un microcosme de livres d'histoires et acceptons de rejoindre ce Fred Pellerin un peu tranquille qui réclame sa part de musique: «En attendant / Jouez-moé un air / De tartes au sucre / D'éclairs au chocolat / Pis d'crème à glace / _Ec des Goglu». À ma courte honte, je dirai qu'en moi quelques souvenirs enfantins ressurgissent avec du rouge au front et des goûts de réglisse noire!

Nostalgie et mélancolie pétrissent ces poèmes rigoureusement réalistes.

On reprochera sans doute à l'auteur l'abus de l'anaphore qui rend facile l'énumération sans fin des anecdotes et des joliesses. Ces deux recueils conviennent donc à ceux et celles que le bruit dont les mots enchantent l'oreille et que les accents hyperréalistes ne rebutent pas.

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Cochonner le plancher quand la terre est rouge

Erika Soucy
Éditions Trois-Pistoles
Trois-Pistoles, 2010, 72 pages

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Mener du train
Dominic Langlois
Éditions Perce-Neige
Moncton, 2010, 56 pages

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Collaborateur du Devoir

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