Littérature québécoise - Thrillers branchés
Il fallait s'y attendre. Nouveaux territoires de l'imaginaire, de la représentation de soi, réseaux sociaux réinventés: le web peut devenir un décor et un instrument du roman noir. On s'y camoufle, on y laisse des traces, on peut aussi y voir sans être vu. Signe des temps, le thriller québécois se laisse lui aussi inspirer par ces nouveaux modes de communication.
C'est ce qu'a fait André Marois avec Sa propre mort, où, au terme d'un party particulièrement décadent, deux étudiants du cégep ont violé l'une de leurs «amies». Ivre morte, inconsciente, Claire n'en aurait peut-être jamais rien su s'ils n'avaient pas filmé la scène, qui s'est aussitôt retrouvée dans le web (dans la catégorie «drunk party girls»).Malade de honte et de dégoût, après avoir songé au suicide, la jeune femme a plutôt choisi d'aller vivre et étudier à Paris, sans fournir à ses pro-ches la moindre explication. Quatre ans plus tard, l'heure de la vengeance a sonné. Et c'est en piratant le compte Facebook de son jeune frère qu'elle découvre les moyens de l'assouvir, d'effacer le passé «douloureux» et le présent «atroce» qui est devenu le sien.
Avec Sa propre mort, malgré une écriture assez terne (aussi «blanche» que le thème est noir), André Marois, connu entre autres pour Les effets sont secondaires, paru en 2003, construit le roman efficace d'une vengeance froide et calculée. La finale y est plutôt saisissante.
Meurtre à Trois-Rivières
Avec ROM. Read Only Memory, Jacques Rousseau, professeur retraité de l'UQTR, nous offre pour sa part un étonnant roman policier, tant par la maîtrise que par l'écriture, qui pourrait bien donner naissance à une série. Point de départ: une femme est retrouvée changée en «statue de sel» dans un local du Département de psychologie de l'Université du Québec à Trois-Rivières.
Vidée de son sang (remplacé par du silicone, comme dans le cas des fameuses et controversées plastinations de Gunther von Hagens), costumée, tout semble laisser croire à une mise en scène, qu'on relie vite à l'histoire de la femme de Loth dans la mythologie biblique.
Polar vif et dense, beaucoup mieux écrit que la plupart des représentants du genre, ROM. Read Only Memory doit beaucoup, il faut le dire, à la personnalité de sa protagoniste principale, Agathe de Francheville, récemment promue enquêteure (avec un «e» à la fin!) de la police municipale. La jeune femme, profitant d'une grève des policiers de la SQ, aura l'occasion de mener ici, manuel scolaire et notes de cours à la main, sa première véritable enquête criminelle.
Un peu malgré elle, Agathe mettra aussi à contribution sa mère, pirate informatique dans ses loisirs, qui fera rapidement progresser son enquête. Une enquête pleine de faux-semblants qui mettra au jour une glauque histoire de manipulation, d'abus et, là aussi, de vengeance calculée.
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Sa propre mort
André Marois
La Courte Échelle
Montréal, 2010, 272 pages
ROM. Read Only Memory
Jacques Rousseau
Triptyque
Montréal, 2010, 214 pages
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Collaborateur du Devoir