Dany Laferrière - Les dix secondes les plus précieuses de sa vie

Il avait d'abord en tête d'écrire des notes à un jeune écrivain, son neveu Dany. Et surtout de ne pas penser au terrible tremblement de terre d'Haïti où il a craint de laisser la vie, le 12 janvier dernier. Mais le souvenir du séisme n'a pas quitté Dany Laferrière si rapidement, et ses notes pour un jeune écrivain sont vite devenues Tout bouge autour de moi, son dernier titre, paru cette semaine aux éditions Mémoire d'encrier, une suite de son «autoportrait d'un homme dans la foule», comme il aime à résumer son oeuvre.
Après la première secousse, il y avait la joie d'avoir échappé à la gueule du dragon. La peur, elle est venue à la seconde secousse, raconte l'écrivain dans un café de la rue Saint-Denis, à Montréal. Cette seconde secousse, c'est comme la queue du monstre qui heurte le héros alors qu'il se croyait enfin à l'abri. «Je me sentais stupide d'avoir cru ainsi être sauvé après la première secousse, dit-il. Et c'est cela qui m'a fait peur. Pendant ces dix secondes, j'étais un arbre, une pierre, un nuage ou le séisme lui-même, écrit-il. Ce qui est sûr, c'est que je n'étais plus le produit d'une culture. J'étais dans le cosmos. Les plus précieuses secondes de ma vie.»Puis, Dany Laferrière est redevenu écrivain, ce «rival de Dieu», comme il aime le définir en citant Malraux. Et il suppléait ainsi aux journalistes en racontant cet infiniment petit, ce petit dérisoire de tous les jours qui fait la vie quotidienne, comme cette petite fille qui demande, une fois les secousses terminées, s'il va y avoir de l'école le lendemain, comme cette femme qui recommence à vendre ses mangues tout de suite après que la terre eut tremblé.
Ce tremblement de terre qui a secoué Haïti, le 12 janvier dernier, Laferrière en compare la secousse à celle qui a mené le pays à l'indépendance en 1804. Au cours de ce premier soulèvement, rappelle-t-il, l'Occident tout entier a tourné le dos à Haïti. Il faut dire, ajoute-t-il, qu'un soulèvement, surtout un soulèvement d'esclaves, est autrement plus subversif qu'un tremblement de terre. À cette époque, poursuit-il, le code noir de Napoléon traitait l'homme noir comme un animal, et Haïti faisait la démonstration que l'humanité est universelle. «Et depuis, écrit-il, l'Occident donne Haïti en exemple à tous ceux qui voudraient un jour se libérer de l'esclavage sans sa permission.» Aujourd'hui, c'est exactement le contraire qui se produit. L'Occident se tourne vers cette république unique au monde et semble bien lui tendre la main.
Le 12 janvier, il y a bien eu rupture en Haïti, même si Dany Laferrière refuse d'adopter la formule de l'année zéro. Et s'il pose un regard mitigé sur l'aide internationale qui a commencé à affluer en Haïti à partir du 12 janvier, il tient à ajouter que «toute aide est bonne». Parmi les journalistes, il jugera aussi ceux qui ont «appelé le pillage» pour justifier leur présence en Haïti et au bulletin de nouvelles. Car, selon lui, il n'y a pas eu autant de pillages en Haïti que ce qu'on a dit, dans les circonstances. Mais encore une fois, il module son propos en considérant que, somme toute, et à l'exception de quelques dérapages, la couverture de presse du tremblement de terre haïtien a été respectable.
S'il refuse de revenir à l'an zéro, ce qui ferait oublier l'histoire, il souhaite tout de même que l'on réserve une place spéciale aux peintres dans la reconstruction d'Haïti. «Pourquoi ne pas penser à peindre certains quartiers? écrit-il. À faire de Port-au-Prince une ville d'art où la musique pourrait jouer un rôle? Haïti doit profiter de cette trêve pour changer son image. Il n'y aura pas pareille chance (façon de parler) une deuxième fois.» Lui-même a décidé de céder la totalité de ses droits sur Tout bouge autour de moi à Mémoire d'encrier, pour encourager la maison dans son travail d'édition des jeunes auteurs haïtiens. Recommencer à vivre tout en faisant le deuil de ses 230 000 morts. Et continuer d'écrire.
Dany Laferrière est président d'honneur du Salon international du livre de Québec, qui se tient du 7 au 11 avril à Québec.
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Tout bouge autour de moi
Dany Laferrière
Éditions Mémoire d'encrier
Montréal, 2010, 165 pages