Une décennie, dix romans, une auteure phare

Un dimanche à la piscine à Kigali a révélé le grand talent de romancier qui couvait sous la plume polémique du journaliste Gil Courtemanche.
Photo: Jacques Grenier - Le Devoir Un dimanche à la piscine à Kigali a révélé le grand talent de romancier qui couvait sous la plume polémique du journaliste Gil Courtemanche.

Après le bilan de l'année, voici un bilan de la décennie. Quels romans québécois ont marqué les années 2000 à 2010? Nous en avons retenu dix, un par année. Une liste au final subjective, dont le principal critère pourrait être: le souvenir prégnant que laisse en nous une oeuvre, malgré le temps qui passe.

2000
Un dimanche à la piscine à Kigali (Boréal), de Gil Courtemanche

Redoutable roman de la cruauté, de l'horreur. On y fait une plongée hallucinante dans l'Afrique, dans le génocide rwandais, en particulier. Où bourreaux et victimes prennent un visage humain. Au programme: la haine raciale, la violence exacerbée, la barbarie, la corruption, la lâcheté, la misère. Et l'amour, envers et contre tout.

Prix des libraires du Québec en 2001, traduit dans plus de 20 pays, adapté au cinéma par Robert Favreau, ce livre a révélé le grand talent de romancier qui couvait sous la plume polémique du journaliste.


2001
Putain (Boréal), de Nelly Arcan

Paru simultanément au Québec et en France, le premier roman de cette jeune femme de 28 ans, en lice pour le Médicis et le Femina, allait provoquer bien des remous.

Au-delà du scandale, du dévoilement intime, impudique, une voix nous était révélée comme un cri. Un livre rempli de colère, Putain. Rempli de mal-être. Nelly Arcan en parlait comme d'un vomissement. Et elle disait qu'elle avait l'impression qu'il contenait tout ce qu'elle allait écrire par la suite.

«Quand j'écris, je ne meurs pas», disait Marguerite Duras, morte à plus de 80 ans, après avoir laissé une oeuvre monumentale derrière elle. Dans le cas de Nelly Arcan, qui s'est enlevé la vie cette année à 36 ans, l'écriture n'a pas suffi.


2002
La Maison étrangère (Leméac), d'Élise Turcotte

Un roman qui va au fond des choses, au fond de l'âme. Un roman de la rupture. Du désamour, de la noirceur, du naufrage. Mais aussi un chant d'amour, un appel à la compassion, à la survie de l'humanité.

L'auteure, qu'on connaît aussi comme poète, qu'on avait découverte comme romancière avec Le Bruit des choses vivantes, a reçu pour ce troisième roman le Prix du Gouverneur général en 2003.


2003
La Héronnière (Leméac), de Lise Tremblay

Grand Prix du livre de Montréal 2003, Prix des libraires du Québec 2004, cet ouvrage rassemble cinq histoires en apparence autonomes, mais qui s'emboîtent les unes dans les autres, formant un tout.

Nous sommes dans un village isolé, où l'on vit replié sur soi-même, au rythme de la chasse, avec une carabine à côté, une caisse de bière pas trop loin. Solitude, ennui sont au rendez-vous. Mais aussi violence sourde, cruauté. En filigrane: le fossé entre gens de la ville et gens de la campagne.

Examen minutieux des comportements humains, justesse de ton et de propos, style vif, concis, incisif: La Héronnière est un petit bijou. Même si l'ouvrage a déplu à certains citoyens de l'île aux Grues... qui s'y seraient reconnus.


2004
Comment devenir un monstre (Leméac), de Jean Barbe

Prix des libraires du Québec et Prix France-Québec Philippe-Rossillon 2005, ce roman s'inspire en grande partie de la guerre en Bosnie, de son atrocité.

On y suit un criminel, coincé en prison, qui a commis des actes sans nom au milieu de l'enfer de la guerre. Et son avocat québécois, qui tente de comprendre comment ce cuisinier, cet homme comme les autres, a pu devenir un monstre. Regard trouble sur la part de bestialité en nous.


2005
Nikolski (Alto), de Nicolas Dickner

Lauréat, entre autres, du prix Anne-Hébert, du Prix littéraire des collégiens et du Prix des libraires, en 2006. Plus de 30 000 exemplaires vendus. Traduit en une dizaine de langues. Pas mal, pour un premier roman...

Quel roman, quelle virtuosité! Le prétexte: la rencontre improbable entre trois jeunes dans la vingtaine, trois êtres singuliers, qui appartiennent à la même famille sans le savoir. En toile de fond: toutes sortes de questionnements sur le nomadisme, la quête des origines, la filiation, le métissage. Et le rôle, la place du hasard dans nos vies. Foisonnant, hirsute, rafraîchissant.


2006
La Fabrication de l'aube (Québec Amérique), de Jean-François Beauchemin

Couronné par le Prix des libraires 2007, voici un récit d'une rare intensité, porté par une plume des plus élégantes.

Le récit d'une résurrection. Celle de l'auteur qui, après avoir séjourné entre les morts à la suite d'une foudroyante maladie, s'est réveillé de son coma transformé. Bouleversant. Une ode à la vie.


2007
Parfum de poussière (Alto), de Rawi Hage

Paru d'abord en anglais sous le titre De Niro's Game, le premier roman de ce Montréalais d'origine libanaise a remporté une flopée de prix au Québec, au Canada et, sur la scène internationale, le très convoité IMPAC Dublin Award.

Le livre nous transporte au Liban, pendant la guerre civile libanaise. Mais l'originalité, ici, consiste à nous faire revivre les événements à travers deux adolescents. Images saisissantes de l'absurdité, de la violence, de la déshumanisation de la guerre, vécue au quotidien: très dur, très fort comme roman.


2008
Le Ciel de Bay City (Héliotrope), de Catherine Mavrikakis

C'est du solide. C'est de la rage à pleine page. Le début, surtout, rentre dedans. Alors que l'héroïne, adolescente, crache ce qu'elle a dans le ventre. On finira par mettre ensemble les morceaux de cette histoire familiale tragique, hantée par la Shoah, où des corps calcinés errent parmi les vivants. Très troublant.

Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal en 2008, Prix littéraire des collégiens et Prix des libraires du Québec en 2009, maintenant en lice pour les Grands Prix littéraires Archambault 2010, ce roman a aussi connu un accueil enthousiaste en France, où il s'est retrouvé en lice pour le Femina.


2009
L'Énigme du retour (Boréal), de Dany Laferrière

Le choix s'impose, non? Bon, on ne va quand même pas répéter qu'avec ce livre d'une vibrante authenticité, inspiré par la mort de son père et un voyage sur ses traces en Haïti, Dany Laferrière a remporté le gros lot cette année...

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Le phénomène Marie-Claire Blais
Pour le reste, si l'on devait nommer au Québec un auteur phare, un seul, dans cette décennie qui s'achève, ce serait sans nul doute Marie-Claire Blais. Une des écrivaines d'ici parmi les plus primées au pays et à l'étranger.

Trois romans d'elle ont paru depuis 2000. Trois romans dans la foulée de celui qui lui avait valu un Prix du Gouverneur général en 1996: Soifs (Boréal), où apparaissaient déjà une centaine de personnages, sur une île tropicale, au début du XXIe siècle.

Trois romans portés par cette voix unique, ce souffle puissant. Cet agencement de pensées, de dialogues, de sentiments, de descriptions et d'actions. Ces longues phrases où l'on croirait entendre une chorale s'exprimer. Cette façon de s'imbiber de toutes les souffrances du monde. Ce regard lucide sur notre époque, ses contractions. Ce questionnement constant sur le rôle et la place de l'art dans le monde.

Une oeuvre monumentale, exceptionnelle, nécessaire, que celle de Marie-Claire Blais. À lire et à relire. De quoi occuper une bonne partie de l'année 2010.

Bonne année!

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