Littérature francophone - Lointaine Maurice

Jean-Marie Le Clezio a beaucoup oeuvré pour faire connaître les écrivains de l'île Maurice, sa patrie ancestrale, dont plusieurs ont conservé la langue française de leur lignée d'origine. Les plus célèbres jusqu'à nous sont sans doute Natacha Appanah et Ananda Devi, qui publient avec un certain succès, tel Barlen Pyamootoo, à Paris. Ces écrivains nous font découvrir un monde lointain, à découvrir absolument.

Avec Salogi's, Barlen Pyamootoo, né en 1960, signe un troisième ouvrage raffiné, consacré à la mémoire de l'enfance et à l'errance mauriciennes. Autobiographique, il évoque la figure de Salogi, mère du narrateur décédée en 2005 et coeur d'une famille tentaculaire, écartelée par l'émigration de par le monde.

Avant que le chômage des années 70 ne jette une partie de l'île sur les routes, notamment vers la France, la vie des îliens apparaît comme un tissu humain serré et coloré, avec ses crises de promiscuité, ses noeuds gordiens et ses liens indissolubles. L'enterrement de Salogi est l'occasion d'un rassemblement à Tour d'Eau Douce, le village natal, et à Flacq, lieu d'enfance familial.

Des lieux inoubliables

Des noms propres exotiques ponctuent ce paradis de fleurs et de coutumes océaniques, dont les habitants durent fuir la misère, l'ignorance et les conditions raréfiées de survie. Rites, symboles, épices et bijoux tamouls émaillent le récit, avec ses échos de Savannah, de Bénarès, de Surinam.

Mariés jeunes, travailleurs acharnés, les adultes n'avaient guère connu l'enfance, ni le bonheur du repos. Pourtant, aux yeux de Barlen, une mystérieuse beauté le relie toujours à ce monde de sensations et d'odeurs évanescentes. Lorsque sa mère disparaît, il prend conscience de ce qui est devenu inaccessible.

Un monde de liberté et de grâce a vraiment basculé, tout près de l'oubli définitif. Dans son français magnifique, orné de particularités linguistiques, avec ces mots qui ont voyagé dans la bouche des émigrants indiens, il ravive ses souvenirs. Peines et regrets jouxtent le caractère solennel de l'invocation.

Objets de la maison, recettes indiennes, instruments de musique, tout nous est étranger. On se prend à rêver, en parcourant les habitudes douces, la vie en demi-teintes malgré le dénuement; on touche la bonté des partages et des coutumes mêlées. Voyez les langues familières au narrateur: le créole maternel, l'anglais et le français à l'école, le tamoul en classe et au temple, le bhojpuri des campagnes, parlé par ses parents, le chinois des boutiques et d'autres langues de cinéma et de radios.

Ponctuation des départs

Alors étudiant au collège royal de Curepipe, Barlen espère rejoindre sa mère et ses soeurs à Strasbourg, en France. Ce voyage au long cours, préparé par les songes mauriciens aux vastes échos, se produit en 1977. Lorsque quatre ans plus tard l'étudiant instruit et francisé revient dans l'île, il comprend que le chaos est proche, et que les plus audacieux, les plus éloquents, les chanceux sont partis en Inde, en France, en Angleterre.

Tout a changé, et ceux qui restent font grise mine, un peu paumés. Une distance irréversible séparera ceux qui vivent désormais ailleurs, et ceux qui, demeurés, parlent d'argent, d'affaires, de bons coups.

Des pages émouvantes sont consacrées à la manière dont Pymootoo fait sa place comme enseignant en français dans ce pays d'adoption qui le regarde en étranger. Mais lorsque sa mère décide de revenir finir ses jours à Maurice, l'exil ranime en lui une forme de désir. Il ne sait plus dès lors quelle est sa patrie, sinon qu'avec ces êtres chers, tramés de nostalgie, il a gardé des liens que la distance n'a pas entravés et que la littérature dépose comme rosée en son jardin de fleurs.

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Collaboratrice du Devoir

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Salogi's

Barlen Pyanootoo

Éditions de l'Olivier

Paris, 2008, 138 pages

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