Essai québécois - Les Francos, partout en Amérique

En regardant la carte qui indique les foyers de population d'origine française en Amérique du Nord offerte dans Franco-Amérique, on ne peut que constater que... c'est «nouère de monde». La vallée de la Grande Rivière, bien sûr, et les Maritimes, certes, mais aussi tout le sud des Grands Lacs (notamment le Wisconsin, le Michigan et l'Illinois), la côte est des États-Unis jusqu'à la Floride (Floribec!), les Prairies canadiennes, les vallées du Missouri et du Mississippi jusqu'en Louisiane, le Midwest et la côte pacifique, de l'Alaska et du Yukon jusqu'à la Basse-Californie, en passant par Vancouver.

Les Francos sont partout en Amérique, ils ont investi le continent de part en part. Ils furent certainement explorateurs et découvreurs, ainsi que défricheurs et colons, on le sait, et coureurs des bois et voyageurs, mais aussi fondateurs, fermiers, ouvriers et chercheurs d'or, et encore vacanciers, entrepreneurs, travailleurs spécialisés, militants, écrivains, étudiants. Le premier maire de la Cité des Anges était un Franco... c'est vous dire.

C'est à faire, refaire et parfaire cette découverte du monde franco, de cet «archipel retrouvé», que nous sommes conviés dans l'ouvrage collectif préparé par les géographes Dean Louder et Eric Waddell. Ces deux scientifiques-voyageurs, l'un originaire de l'Utah et l'autre de l'Angleterre (faut-il donc venir d'ailleurs que du Québec pour apercevoir et embrasser cet univers culturel et géographique mineur en Amérique?), n'en sont pas à leurs premières esquisses de cette géographie culturelle. Depuis l'Université Laval, dans les années 1970, ils ont entrepris cette mise au jour de la Franco-Amérique, dont la publication de Du continent perdu à l'archipel retrouvé en 1983 (PUL, réédité en 2007) a constitué un moment charnière.

Franco-Amérique présente, comme Du continent perdu... avant lui, et comme Vision et visages de la Franco-Amérique (Septentrion, 2001, avec Jean Morisset) plus récemment, une série d'études (parfois un peu lourdes) et de témoignages (toujours savoureux) qui se penchent sur ou proviennent des différents lieux et réalités franco-américaines. L'Acadie, l'Ontario français, la Nouvelle-Angleterre, la Louisiane, le Michigan, l'Illinois, le Missouri, l'Oregon sont au menu, mais aussi la Floride et la Californie, l'immigration récente de langue française, le métissage et d'autres considérations sur la nature et le sens de cette Franco-Amérique.

À quoi ça sert, la Franco-Amérique?

Étrange découverte que celle de ce monde franco, monde dans lequel on est parfois Franco sans pourtant parler le français, comme nous l'apprend Ken Baulne, dit Bone, ce PawPaw French originaire de DeSoto au Missouri, au nord de la Vieille Mine (Ken Baulne, c'est justement le type sur la photo de la page couverture: chemise à carreaux, baseball cap, posant avec dégaine sous une pergola artisanale dont le frontispice porte l'inscription «300 ans. On est toujours icitte!»).

En effet, quand on regarde l'autre carte offerte dans Franco-Amérique, celle qui indique les foyers de population où l'on parle le français à la maison, force est de constater que la Franco-Amérique est certes synonyme de combats et d'histoire, du quotidien et de communautés, mais aussi, pour beaucoup, d'histoires, de mémoire, de traces, de folklore, de commémorations, de pèlerinages, de passage, de vestiges. La Franco-Amérique, il faut bien le dire, c'est surtout un imaginaire culturel, politique, géographique à consistance faible et dont les capitons sont épars et dispersés sur un vaste continent. Et franco n'est pas nécessairement français.

D'où peut-être la question — frileuse — posée par Serge Latouche dans les pages du Devoir lors de la parution de Du continent disparu à l'archipel retrouvé, question qui fait écho à la difficulté évoquée plus haut de se saisir de l'imaginaire franco depuis le Québec: à quoi ça sert, la Franco-Amérique?

Joseph-Yvon Thériault tente, dans le dernier texte du collectif, une réponse à cette question qui donne l'heure juste: «Elle est d'abord [la Franco-Amérique] simplement un objet de connaissance qui atteste de l'existence en Amérique d'une large nébuleuse qui, bien qu'elle soit plurielle dans ses affirmations, n'en tourne pas moins autour de la langue française, de l'histoire de ses peuples en Amérique et de son affirmation internationale aujourd'hui à travers la Francophonie. Politiquement, cela n'est pas rien, pour chacun de ces espaces particuliers, de pouvoir rayonner et parfois de s'appuyer sur cet immense réseau linguistique et mémoriel.»

Ce n'est pas rien, en effet: la Franco-Amérique est un espace géoculturel qui permet de dépasser la correspondance simple entre les frontières terrestres et les solidarités politiques lorsqu'il est question de la vie en français — et de la vie franco — en Amérique. C'est également un imaginaire qui donne accès à un contient entier.

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Collaboratrice du Devoir

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FRANCO-AMÉRIQUE

Sous la direction de Dean Louder et Éric Waddell

Septentrion,

Sillery, 2008, 373 pages

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