Littérature jeunesse - L'invention de la réalité

«Je n'ai pas d'imagination.» C'est que répète Xavier-Laurent Petit, l'auteur de Be safe, paru cet automne à l'école des loisirs. On voudrait bien croire l'écrivain français de passage au Salon du livre de l'Outaouais, mais ce n'est pas chose facile, puisqu'il s'agit d'ouvrir n'importe lequel de ses romans pour constater qu'il n'a besoin que de quelques lignes pour camper admirablement le décor et le climat de pays dans lesquels il n'a jamais mis les pieds.

Des pays qu'il prend un malin plaisir à ne pas nommer, mais qu'on reconnaît facilement, sous leur mince pellicule d'anonymat.

«Le fait de ne pas nommer les pays me permet de rester dans la fiction, explique-t-il. J'ai ainsi la liberté de mêler les événements, alors que si je suis trop précis historiquement, je perds cette liberté.»

Dans Fils de guerre, par exemple, un roman fort et touchant qui raconte l'histoire d'un jeune berger des Balkans engagé dans une guerre qui le dépasse, Xavier-Laurent Petit a intégré une scène qui s'est déroulée pendant le conflit Iran-Irak. D'un point de vue historique, c'est n'est peut-être pas exact, par contre, ça s'inscrit parfaitement dans la cohérence du récit. Qu'on soit ici ou là-bas, c'est la même logique guerrière qui mène des enfants de 12 ans sur le champ de bataille pour servir de chair à canon.

On l'aura compris, les histoires que Xavier-Laurent Petit propose aux adolescents les entraînent à des années-lumière de leur nombril. Elles puisent leur inspiration dans l'actualité internationale et témoignent de réalités sociales souvent difficiles.

Dans L'Oasis, l'écrivain nous fait découvrir l'angoisse d'un lycéen d'origine arabe, dont le père journaliste est menacé de mort par les intégristes musulmans. Avec Maestro, il nous montre l'espoir qui naît dans le coeur des enfants de la rue d'un pays d'Amérique du Sud quand un vieux chef d'orchestre entreprend de leur enseigner le violon. Dans Be safe, son dernier roman, il arrive à rendre crédible le désarroi d'un jeune américain désoeuvré qui s'est engagé dans l'armée pour trouver du travail et qui se retrouve sur le front irakien sans l'avoir voulu.

Parvenir à trouver les mots justes pour traduire les émotions de ces personnages qui traversent des épreuves qu'il n'a lui-même jamais vécues, c'est quand même pas mal pour quelqu'un qui prétend ne pas avoir d'imagination.

Il est vrai que les points de départ des romans de Xavier-Laurent Petit prennent toujours naissance dans une anecdote qu'il a glanée ici ou là, une confidence qu'on lui a faite ou un article lu quelque part. C'est vrai aussi que l'auteur se documente énormément afin de rendre le plus fidèlement possible ces réalités qu'il veut faire connaître aux jeunes.

Un menteur

Au fond, Xavier-Laurent Petit se considère plutôt comme un menteur. Un menteur professionnel qui s'adresse aux adolescents à la première personne, avec un «je» usurpé, emprunté à des personnages à qui il a donné tant de vie qu'il finit par croire lui-même qu'il ne les a pas inventés.

On n'a qu'à lire ce qu'il a écrit à propos de Jozef, le personnage principal de Fils de guerre pour comprendre toute sa démarche:

«S'il est comme on dit, le fruit de mon imagination, certains en concluront qu'il n'existe pas. Erreur! Il est bien vivant. Des centaines de milliers de Jozef sont bien vivants. Là, quelque part dans le monde, à portée d'avion, ils sont les trop jeunes otages d'un pays en guerre. De ces pays dont le nom revient quelques jours durant ou quelques semaines. Et puis, insensiblement, presque malgré nous, les images s'effacent et les noms s'oublient jusqu'à n'être plus que de vagues souvenirs. Et cependant, Jozef est toujours là, lui, à tenter de survivre dans cette région imprécise des Balkans où se situe son histoire. Mais ce pourrait être aussi bien au Congo qu'en Iran, au Cambodge qu'en Algérie, au Kosovo ou bien ailleurs. Loin de cet oubli, ce que veulent tous les Jozef, c'est vivre. Tout simplement.»

Xavier-Laurent Petit écrit pour que ses lecteurs se sentent concernés par ce qui se passe dans leur monde, pour qu'ils comprennent que l'univers ne s'arrête pas au bout de leur jardin. Mais cet ancien instituteur ne cherche surtout pas à faire la morale. Ses romans sont des témoignages inventés, à la limite du docu-fiction, pas des prises de positions politiques. Aux lecteurs de se faire une opinion à partir des faits qui leur sont relatés. Be safe n'est pas un roman antimilitariste, même si l'auteur y aborde la guerre en Irak et les manipulations dont sont victimes les jeunes engagés qu'on laisse volontairement dans l'ignorance de leur mission. C'est une fiction qui présente la désertion comme l'un des choix possibles pour les soldats envoyés en Irak, comme elle l'a été pour ceux de l'époque du Vietnam.

Même s'ils sont porteurs de thèmes forts, les romans de Xavier-Laurent Petit ne sont pas des oeuvres monolithiques. Au-delà du thème dominant, ils résonnent de nombreuses harmoniques. Be safe parle de guerre, mais il traite aussi du désoeuvrement de la jeunesse américaine, de la complexité des rapports familiaux, des remous que soulèvent parfois les secrets de famille. Il aborde aussi la puissance rédemptrice de la musique et de l'amour.

L'expression «Be safe» est, semble-t-il, une formule consacrée pour les soldats américains. Une façon courante de se souhaiter bonne chance avant chaque déplacement hasardeux. L'auteur l'avait traduit par «Reste en vie». C'est ce qui devait donner le titre au livre, mais l'éditeur lui a préféré la version anglaise originale.

«Reste en vie» demeure donc un titre à prendre. Une belle injonction qui pourrait, finalement, être la devise de tous les personnages des romans de Xavier-Laurent Petit.

Celui qui réussit si bien à traduire la réalité contemporaine a aussi prêté sa plume au passé en signant deux excellentes biographies dans la collection «Belles vies», de L'École des loisirs, celles de Marie Curie et de Charlemagne.

L'auteur sera présent tout au long au Salon du livre de l'Outaouais pour rencontrer ses lecteurs.

Collaboratrice du Devoir

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BE SAFE CHARLEMAGNE MARIE CURIE

Xavier-Laurent Petit

L'École des loisirs, 260, 122 et 110 pages respectivement

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