Roman québécois - Portrait de l'artiste en vieil homme

Aussi fascinant et riche soit-il, le thème du retour au pays natal est peut-être la grande scie de la littérature dite «migrante». C'est celui qu'a choisi d'aborder l'écrivain d'origine brésilienne Sergio Kokis pour son plus récent roman, Le Retour de Lorenzo Sánchez. Un voyage à travers le temps et la géographie dans un Chili où les fractures sociales demeurent encore vives.

Protagoniste de cette histoire où se mêlent nostalgie et illusions, Lorenzo Sánchez est un peintre figuratif — «définitivement anachronique», dira-t-il — qui se fait mettre à la retraite par l'université montréalaise où il occupait quelques charges de cours en dessin anatomique. Une victime supplémentaire, croit-il, des «charmes fades de l'abstraction» qui empoisonnent aujourd'hui l'enseignement des beaux-arts.

Ancien boxeur d'origine chilienne au visage d'Indien et aux cheveux longs, l'homme aime la bonne chère et s'assomme au scotch comme d'autres gobent des Ativan. Un moreno un peu misogyne qui a collectionné les femmes toute sa vie et qui ne semble pas porter l'humanité dans son coeur.

Le récit de Lorenzo est régulièrement entrecoupé de passages en italique où il se parle à lui-même: «Tu te rends compte, mon vieux? Ces pauvres jeunes gens vont finir leurs études universitaires en art tout en étant incapables de faire le dessin de leur copine à poil ou le portrait de leur grand-mère sur son lit de mort. C'est désolant, Lorenzo, mais ce n'est plus de tes affaires.»

Et le peintre se livre à des récriminations qui touchent à peu près tous les sujets: les femmes, les bourgeois ou la «fraude» post-moderne que constitue en grande partie l'art contemporain. Le regard qu'il porte sur l'art qui se fait aujourd'hui? Comme tout le reste: «Le monde est devenu plus fade en devenant moderne.» Borges, l'écrivain argentin? «Je ne peux pas sentir ce petit réac, cet écrivailleur de facéties et poète mielleux dont les intellectuels d'ici et d'Europe ne cessent de dire des merveilles.»

Dépouillé de ses dernières illusions, rendu du même coup à sa liberté, l'homme qui trente ans plus tôt a fui la dictature et les menaces qu'elle faisait peser sur lui acceptera de reprendre contact avec son jeune frère qu'il n'avait jamais revu — ou même chercher à revoir.

Un cru moyen

Mais à côté de ce dégoût persistant, il y a aussi la «sarabande des souvenirs» qui reviennent visiter ce misanthrope adopté en bas âge par une riche famille bourgeoise de Santiago. Des parents qui ne lui ont jamais pardonné ses idées socialistes et, surtout, les étreintes adolescentes avec Sonia, sa demi-soeur.

Une obscure affaire de testament, la curiosité et une certaine nostalgie l'amèneront, vers le milieu de ce roman de 350 pages, à quitter le «pays aseptisé» où il vit pour retourner au Chili, sur les lieux de son enfance et de ses amours disparues. Croyant ainsi assécher le «bourbier» du passé, le héros de Kokis ouvrira plutôt une boîte de Pandore où l'attendent, comme pour l'avaler, une vieille maison au bord de la mer et une suite de drames insoupçonnés.

Roman bavard et amer, moins subtil que celui que nous offrait récemment Daniel Castillo-Durante (Un café dans le Sud, XYZ, 2007) sur un motif identique, Le Retour de Lorenzo Sánchez ennuie à plus d'un titre. Notamment pour le chapelet de réflexions souvent pontifiantes sur l'art — on l'a vu — et sur le «rôle» de l'artiste qui nous y est servi.

Habile, en contrôle, ronronnant, décliné sans la moindre audace formelle, le roman est écrit dans une langue étroitement policée. Preuve supplémentaire, s'il en fallait une, qu'en littérature le «mieux» est souvent l'ennemi du bien.

Sergio Kokis produit-il trop et trop vite? Un livre chaque année depuis Le Pavillon des miroirs paru en 1994. Certes, c'est son droit souverain de préférer l'esquisse à l'oeuvre forte. Mais c'est aussi celui du lecteur, jusqu'à nouvel ordre, d'en espérer davantage. Un cru moyen.

Collaborateur du Devoir

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LE RETOUR DE LORENZO SÁNCHEZ

Sergio Kokis

XYZ

Montréal, 2008, 352 pages

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