Le retour des bibliothécaires dans les écoles ?
Alors que le gouvernement du Québec a investi 75 millions de dollars au cours des quatre dernières années pour l'achat de livres consacrés aux bibliothèques scolaires, pas un nouveau sou n'a encore été versé pour l'embauche de bibliothécaires qualifiés pour acheter ces livres, pour animer les collections et pour conseiller les élèves et les professeurs dans leur fréquentation de la bibliothèque.
Pourtant, une bibliothèque bien gérée constitue un véritable poumon pour l'école, offrant du coup une bouffée d'air frais à des élèves parfois au bord de l'asphyxie. Et, contrairement à la croyance populaire, la révolution technologique n'a fait qu'accroître les besoins des élèves dans ce domaine.Aujourd'hui, pourtant, le manque en matière de personnel dans les bibliothèques des écoles primaires et secondaires est sidérant. En fait, jusqu'à tout récemment, les bibliothécaires en milieu scolaire étaient carrément une espèce en voie d'extinction. Et présentement, dans l'ensemble de la province, il y a en tout 23 bibliothécaires et 30 «spécialistes en techniques et moyens d'enseignement», pour les 2770 écoles primaires et secondaires du Québec.
Jusqu'à ces dernières années, la disparition des postes de bibliothécaires au Québec était telle que même les programmes de formation des départements de bibliothéconomie des universités avaient cessé d'offrir une formation dans ce domaine. S'il a laissé pourrir la situation depuis plusieurs décennies, le ministère de l'Éducation pourrait tenter de redresser la situation sous peu, dans le cadre de la reconduction du plan d'action sur la lecture. Déjà, pour faire face à la pénurie et à d'éventuelles embauches, le ministère a demandé aux universités offrant des formations dans ce domaine de rouvrir des cours sur la bibliothéconomie en milieu scolaire. «Selon la demande du ministère qui nous est faite, ces cours doivent se poursuivre sur une dizaine d'années, l'objectif étant de former 20 bibliothécaires scolaires par an. Je ne peux me prononcer à la place du ministre, mais vous en déduirez facilement quelle est l'ambition», dit à ce sujet Jean-Michel Salaün, directeur de l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information (EBSI) de l'Université de Montréal. Mais M. Salaün le confirme, on revient de loin. Si elles veulent embaucher des bibliothécaires scolaires, les commissions scolaires devront d'ailleurs faire face à une concurrence féroce. L'an dernier seulement, l'EBSI a reçu pas moins de 778 demandes d'embauche de bibliothécaires dans différents domaines. C'est beaucoup pour une école qui ne forme que quelque 80 étudiants par année...
Car loin de rendre obsolète le métier de bibliothécaire, le développement d'Internet et du numérique a décuplé la demande de personnel dans ce secteur. Jean-Michel Salaün parle même d'un «boom extraordinaire» du métier. Et si les enfants ont accès dès leur plus jeune âge aux informations circulant librement sur Internet, ils ont plus que jamais besoin d'aide pour y faire un tri et pour évaluer la pertinence des sources qu'ils consultent. Si l'on n'y prend pas garde, dit-il, «il y a un risque que les jeunes n'arrivent plus à maintenir leur attention, qu'ils aient un grand manque de culture approfondie, et qu'ils souffrent de superficialité».
Encore plus d'impact au primaire
Les enquêtes faites sur le sujet sont d'ailleurs formelles. Une bibliothèque aux heures d'ouverture flexibles, bien pourvue en personnel qualifié et en livres a un impact déterminant sur la performance scolaire des élèves. Depuis que l'UNESCO a publié un manifeste de la bibliothèque scolaire, en 2000, plusieurs études américaines l'ont prouvé. Selon une étude de l'Illinois, conduite en 2005, la présence d'une bibliothécaire qualifiée avait un impact remarquable sur la performance des élèves à l'écrit, particulièrement à l'élémentaire, où elle accroissait leurs résultats de 17 % à 18 %. Cette étude a aussi clairement montré que la flexibilité des horaires affichés par les bibliothèques marquait une différence en ce qui a trait au rendement des élèves. Dans les écoles élémentaires où les horaires d'ouverture des bibliothèques et de disponibilité du personnel étaient les plus flexibles, les élèves affichaient des résultats de 10 % supérieurs aux autres en lecture, et de 11 % en écriture. Dans les écoles secondaires, où les bibliothèques sont en général ouvertes un plus grand nombre d'heures, les finissants des écoles où les bibliothèques étaient ouvertes le plus longtemps ont obtenu des résultats de 6 % supérieurs aux autres. Enfin, dans une étude conduite au Colorado, les élèves des écoles bénéficiant d'une bonne bibliothèque ont eu des résultats supérieurs de 10 % à 18 % à ceux des écoles n'en bénéficiant pas. Or, qui dit flexibilité des horaires dit personnel qualifié disponible pour offrir le service aux élèves.
Plus près de nous, la table de pilotage du renouveau pédagogique recommandait, en 2006, «l'embauche de bibliothécaires ou de spécialistes ayant des compétences dans le soutien aux enseignants, la gestion de bibliothèques scolaires et l'animation, et ce, en lien étroit avec les programmes du domaines des langues».
Des bibliothèques aux mains des bénévoles
Or, selon des données compilées en 2001, on trouvait au Québec un bibliothécaire pour 17 259 élèves au secteur public, et un pour 3042 élèves au secteur privé. À l'école primaire, secteurs privé et public confondus, on ne comptait plus qu'un bibliothécaire pour 25 429 élèves.
À la Commission scolaire de Montréal, jusqu'au début de cette année, Andrée Bellefeuille était l'une des deux seules bibliothécaires dignes de ce nom. C'est peu pour une commission scolaire qui regroupe pourtant 74 392 jeunes en formation générale, tous degrés confondus! Deux autres bibliothécaires étaient par ailleurs sur le point d'être embauchés. En fait, dans le secteur public, la quasi-totalité des 53 bibliothécaires travaillent au niveau secondaire, desservant souvent plusieurs écoles à la fois à titre de conseillers. On compte aussi sur des techniciens en documentation, qui ne bénéficient que d'une formation collégiale, alors que le métier de bibliothécaire demande des études de maîtrise universitaire.
«Au niveau primaire, en général, il n'y a pas de sous, dit Mme Bellefeuille. On constate qu'il y a dans l'ensemble des écoles primaires très peu de personnel rémunéré et peu de personnes spécialisées.» Dans plusieurs écoles, des bénévoles assurent, selon leur gré et leurs horaires, un certain service de prêt et de retour des livres.
«La plupart des écoles essaient d'utiliser des ressources du milieu qui travaillent comme bénévoles, ajoute Mme Bellefeuille. Ça ne donne pas des résultats extraordinaires, et ils sont parfois difficiles à recruter.»
Devant un tel constat, doit-on s'étonner que les élèves aient, année après année, de si mauvais résultats aux épreuves de français du ministère de l'Éducation?
Les bibliothèques ont déjà connu des jours plus fastes, reconnaît Jocelyne Dion, de la Coalition en faveur des bibliothèques scolaires, qui milite dans ce dossier. «Ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu d'abord des compressions au niveau du gouvernement, et ce sont les postes qu'on a abolis en premier. [...] Ensuite, il y a eu l'arrivée des nouvelles technologies», dit-elle, ajoutant qu'un message tacite a alors circulé selon lequel Internet était entièrement gratuit, accessible, et compréhensible de tous, sans aide.
Les postes de bibliothécaires dans les écoles sont en concurrence avec ceux d'autres professionnels, comme les orthopédagogues, reconnaît Stéphanie Tremblay, responsable des communications au ministère de l'Éducation, des Loisirs et des Sports. Mais, ajoute-t-elle, «les bibliothécaires sont très bien placés pour soutenir les enseignants et les élèves, notamment dans le cadre du nouveau programme qui pose comme compétence le traitement et de la développement de l'information». Un regain d'intérêt qui pourrait, dans un avenir prochain, donner quelques résultats.