Poésie québécoise - Pour le vivant
La Chambre verte, recueil inédit de France Mongeau, offert en version bilingue dans une présentation fort soignée par Les Écrits des Forges, propose quatre parties que l'auteure nomme «études». Nous «entrons dans l'intelligence» d'un couple amoureux, dans la nature pulsionnelle et vivante. Un lien étroit s'établit alors entre le paysage et la chair, alors que la chambre est à la fois celle des amoureux, mais aussi «la chambre verte de l'été».
Dès le départ le ton rappelle Alain Grandbois ou Anne Hébert dans ces descentes maritimes ou ces aériennes tensions, quand ciel et eau se confondent. Mais c'est aussi autre chose, personnel et marqué d'une voix propre, voix qui convie la poésie à sonder la «matière vive matière / étalée». La richesse remarquable de ce recueil est indéniable, tant par sa structure que par ses récurrences qui ponctuent la beauté décrite, la vigueur des images. Des oiseaux s'égarent, des êtres sous-marins vont à leur perte, des élans amoureux résistent contre l'accablement à cause de la «fébrilité». Le paysage, qui ressemble souvent à un «papier peint», est du même vert que les robes, les lieux. Et ce vert-là, couleur ambiguë, à la fois vivante et glauque, réconcilie. L'envoûtant étang convoqué à de nombreuses reprises dans le recueil appelle la mort enfouie, les algues, mais recèle de la vie organique et mystérieuse. Comme une noyée, la poète appelle l'amoureux qui la prend par la main, la sauve: «le poème devient ce chant sous l'épaule nue / où se love la paix les fougères / un lit des bêtes repues / au revers des trésors [...]». Les amoureux retournent à la terre, à l'eau originelle, conquièrent leur identité contre la mort. Nageurs ou troglodytes, ils vont vers une ultime connaissance. «C'est un langage d'étang stagnant / gelé cassé / les reins brisés du monde vivant / c'est aussi argile et racine et symbole», et c'est aussi un magnifique recueil qui fait du rêve une parole révélatrice.Inquiétude du paysage
«Cette femme / dit-il / ? elle était bleue / sable et plage de février». Ainsi parle le narrateur de ce recueil qui nous convie à suivre une nouvelle voix incisive et pleine d'un étonnant accomplissement. Ces «quelques éclats» qui sautent dans les mots de Kateri Lemmens font du couple amoureux le témoin du passage furtif du temps sur les choses, du lieu aléatoire de ce qui ne dure pas. Une femme liquide s'avance vers un homme qui témoigne de la délicatesse des mouvements, «il en va de ces femmes / ? grâce et risque», comme si, jamais certains de rien, les êtres qui aiment tremblaient.
La sirène appelle encore l'amant qui se penche, réclame la vie bien au-delà du possible. Lumineuse aussi, l'amoureuse qui sur la grève tend ses poignets vers l'autre. Comme si l'amant allait y couper les veines: «il faut / vouloir / ce que nous sommes / ce danger» au bord de l'effondrement. Et c'est elle qui prend la parole dans la seconde partie du recueil intitulée «Récifs». Les mots se répètent en une variation infime, confirmant les paroles antérieures de «Foch», en première partie.
La force indéniable de ce premier recueil tient au fait du battement sous-jacent entre douceur et douleur, entre le lisse des eaux et les colères qui grondent. L'étreinte amoureuse est ici plus que le glissement des peaux, elle est aussi tempêtes et «meurtrissures».
Collaborateur du Devoir
***
LA CHAMBRE VERTE / ESTANCIA EN VERDE
France Mongeau
Trois-Rivières, Écrits des Forges
Mexico, Mantis editores, 2007
Traduction en espagnol de Sylvia Pratt
QUELQUES ÉCLATS
Kateri Lemmens
Le Noroît, coll. «Initiale»
Montréal, 2007