Angoisse voyageuse - Louis Gauthier
On n'aurait pas cru le trouver là, dans cette maison gazouillante, parmi ses trois perruches et son pinson, ses collections de bustes, de jolies boîtes de bois et de livres anciens, haut de taille, ses cheveux blonds et blancs en queue de cheval dans le dos. Dans son dernier livre, Voyage au Portugal avec un Allemand, paru chez Fides, Louis Gauthier reprend le bâton du voyageur, avec son sac pour tout bagage et l'angoisse d'être seul, l'angoisse de mourir, l'angoisse tout court. Par chance, un Allemand, parlant parfaitement français, passait par Lisbonne à ce moment-là...
C'est un livre attendu que celui de Louis Gauthier, un livre qui a mis des années et des années à venir. Un livre qui a 15 ans, en fait, l'âge du fils de l'écrivain, Félix. Le voyage qu'il décrit, c'est d'ailleurs le même qui a donné naissance, dans les années 80, au Pont de Londres et à Voyage en Irlande avec un parapluie, signés Gauthier, et repris depuis en poche dans la Bibliothèque québécoise.C'est un circuit que l'écrivain a fait en 1979: une expédition de six mois qui devait le mener en Inde et au cours duquel il a fait escale en Angleterre, en Irlande, au Portugal. Une sorte de quête initiatique, spirituelle, un voyage intérieur, finalement, plus qu'extérieur. "Moi, je ne suis pas en voyage à Lisbonne, je suis en voyage dans une région sombre et tourmentée de mon âme", écrit-il. À l'époque, son périple emboîtait le pas à toute la mouvance de quête spirituelle qui a plané sur une certaine génération dans les années 70, partie sur les traces de la beat generation des années 50. Bouddhisme zen et révolution sexuelle au menu.
Louis Gauthier, avec le doigté d'écrivain qu'on lui connaît, a l'intelligence d'y ajouter une bonne dose d'humour. Et son autodérision, omniprésente comme une tentation, n'éclipse pas son propos.
Dans son Usage du monde, le maître des récits de voyage, l'écrivain suisse Nicolas Bouvier, disait qu'"un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait". Louis Gauthier parcourt un peu les mêmes chemins quand il écrit: "[...] je ne comprends pas moi-même pourquoi je m'attarde ainsi plutôt que de me précipiter vers le but de mon voyage, mais en même temps je ne cesse de me répéter que le but n'est qu'un prétexte et que le voyage, j'y suis déjà."
Quelques notes, des souvenirs, beaucoup de persévérance, et il en reste, ces temps-ci, un livre bien écrit, avec ses moments de grâce, ces moments où on a vraiment l'impression d'entrevoir le vide ou la grandeur que la littérature - cette collection de mots - habille.
"Toute la beauté du monde est là, création et destruction, paix et violence, esthétique sans morale. Oui, un jour, toutes les cathédrales seront détruites [...]", écrit-il alors que son personnage principal visite l'église du Carmel, de Lisbonne. Ce monde qui se détruit, ces êtres qui vieillissent, ils sont constamment présents dans l'imaginaire du héros de Gauthier. Et ce dernier tente, à grand renfort d'alcool, de sexe et de principes bouddhistes, de se résigner à ces petites morts.
Ce roman, Louis Gauthier l'a écrit en perfectionniste. En entrevue, il raconte comment il a longuement retranché des mots de son livre, réécrit des phrases. Comment il a changé au cours de ces longues années d'écriture, devant constamment réécrire, réajuster son style, au fil des années qui passaient. À la fin, l'architecture du texte devient légère, un échafaudage de phrases auquel on ne peut plus rien enlever, qui s'élève sur la page blanche.
On a souvent défini l'écrivain comme naviguant entre deux genres, le comique et l'existentiel. Dans le comique, en puisant dans son oeuvre, on pourrait mettre le fameux Anna, écrit en 1967, un incontournable en littérature québécoise, Les grands légumes célestes vous parlent et les deux tomes des Aventures de Sivis Pacem et Para Bellum, dont le dernier fut récemment réédité. Dans la catégorie des romans existentiels se trouveraient Le Pont de Londres, Voyage en Irlande avec un parapluie, Voyage au Portugal avec un Allemand. Aujourd'hui, l'homme a vieilli. Il y a moins d'amour, plus de solitude dans son dernier livre. Plus de profondeur et plus de sagesse aussi, mais une sagesse qui a mûri lentement et longuement.
Les livres sérieux lui sont plus douloureux, plus laborieux. L'humour lui vient plus facilement, plus rapidement aussi que la métaphysique. Entre ces oeuvres dites sérieuses, celles où il aborde quelques questions existentielles, Louis Gauthier se repose donc, et il écrit des oeuvres légères, carrément drôles. C'est en pleine rédaction de Voyage au Portugal avec un Allemand qu'est né le deuxième tome des Aventures de Sivis Pacem et Para Bellum. Le prochain au programme, c'est une histoire du Québec fictive, rigolote.
Pourtant, au fond, Louis Gauthier dit respecter davantage la philosophie, plus rare, que l'humour. "On a plus d'humoristes que de philosophes", constate-t-il d'ailleurs.
Mais quinze ans, dit-il, c'est trop long pour écrire un livre. "Cela n'en a pas fait un meilleur livre, ça en a fait un livre plus difficile", constate-t-il, soulagé d'ailleurs d'avoir terminé cette oeuvre qui le suit depuis si longtemps, et qui arrive magnifiquement publiée chez Fides, avec ses jolis dessins, ses ornements à chaque chapitre.
On soupçonne cependant que les questions métaphysiques ne laissent pas l'écrivain tranquille bien longtemps. Né à Rosemont en 1944, formé au collège classique des Eudistes, il dit avoir dès l'enfance été porté par une quête d'absolu, qui l'a d'ailleurs laissé doublement floué lorsqu'il a tourné le dos à la religion catholique.
"La religion catholique et son Dieu à barbe blanche, il y a longtemps que je n'y crois plus, écrit-il encore dans son Voyage au Portugal avec un Allemand. Que je ne vois dans son Église qu'une institution politique, une secte qui a réussi, qui s'est enrichie avec l'argent de ses fidèles qu'elle manipule à sa guise, une secte d'où toute trace de vraie religion a depuis longtemps disparu."Sitôt abandonnée, la religion refaisait cependant immédiatement surface dans le discours des contestataires. Elle prend l'habit des bouddhistes, des hindouistes. Et finalement, la vie préserve tout son mystère. Comme dans ce koan zen que le héros de Gauthier laisse sans réponse: "Quand le verre se brise, que devient l'espace qui le contenait?"
VOYAGE AU PORTUGAL AVEC UN ALLEMAND
Louis Gauthier
Fides
Montréal, 2002, 185 pages