Histoire - Nos curés des déserts d'autrefois

Lorsque, le 19 janvier 1826, Charles-François Painchaud, un curé du Bas-Canada, envoie une lettre débordante d'admiration à Chateaubriand, qui, grâce au Génie du christianisme (1802), a presque effacé l'influence de Voltaire en remettant la foi à la mode dans les salons français, il n'attend guère de réponse. Mais, quinze mois plus tard, il reçoit ces mots: «Je vous félicite, Monsieur, de vivre au milieu des bois... »

De Paris, Chateaubriand se montre flatteur pour décrire la religion d'un pauvre et obscur curé canadien. «La prière qui monte du désert est plus puissante que celle qui s'élève du milieu des hommes... », écrit-il à Painchaud. L'historien québécois Serge Gagnon ne cite ni l'une ni l'autre des lettres, mais l'échange reflète à merveille le contenu de son livre intitulé Quand le Québec manquait de prêtres. La charge pastorale au Bas-Canada.

L'abbé Painchaud, fondateur du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et curé du lieu, figure parmi les prêtres dont Gagnon retrouve la trace pour nous montrer les difficultés que connaissait l'Église romaine dans le désert colonial issu de la Conquête britannique de 1760. Dans le territoire désigné officiellement, de 1791 à 1840, sous le nom de Bas-Canada, le catholicisme souffrait d'un statut politique précaire, de la concurrence du protestantisme, religion des conquérants, et d'une pénurie d'ecclésiastiques.

Pour remédier à l'absence fréquente d'instruction qui sévit au sein du peuple, le clergé fonde quelques petits séminaires, c'est-à-dire des collèges classiques, surtout pour susciter des vocations sacerdotales, mais sans exclure pour autant la préparation à des carrières profanes. Former des élites laïques par l'étude des humanités comporte toutefois des risques. L'Église en est consciente.

Dès 1807, Mgr Joseph-Octave Plessis, évêque de Québec, s'indigne de voir que «très peu d'avocats et de notaires [...] fréquentent les sacrements». Quant à Mgr Jean-Jacques Lartigue, évêque de Montréal, il s'afflige de constater que le réseau d'écoles primaires conçu par les Patriotes en 1829 pour tenter d'enrayer l'analphabétisme généralisé procède trop de la tiédeur religieuse qui envahit notre bourgeoisie naissante.

Un curé signale même à Mgr Lartigue qu'un de ses paroissiens, lecteur de Voltaire, s'inspire «de tous les passages les plus impies» du philosophe pour agrémenter la vie conjugale! Prêtre plus moderne, l'abbé Painchaud, peut-être séduit par la lecture d'Atala, de Chateaubriand, prend le temps d'écrire une longue dissertation latine sur les bienfaits de la masturbation occasionnelle pratiquée par les époux légitimes. Mais le curé au romantisme audacieux se voit rabroué par Mgr Plessis.

À l'affût de tout

L'évêque de Québec est à l'affût de tout. Ce Montréalais de naissance ne craint pas de trouver un peu rustre le futur successeur de Mgr Lartigue à l'évêché de Montréal: Ignace Bourget, originaire des environs de Québec. «Très bon enfant, mais scrupuleux et d'un extérieur paysan», précise dès 1821 Mgr Plessis, qui n'est guère plus moderne que le jeune homme qu'il juge.

Mais son opinion, d'une indéniable finesse psychologique, s'avérera prémonitoire. En 1869, Mgr Bourget obtiendra du Saint-Siège la condamnation de l'Institut canadien, indispensable noyau montréalais de vie intellectuelle où se perpétuait l'esprit libéral des Patriotes les mieux instruits.

Plus que par la description de chinoiseries canoniques et d'épineux problèmes de casuistique découverts dans la correspondance entre les curés et leurs évêques, c'est par l'étude pénétrante d'un milieu ecclésiastique besogneux, étouffé par une religion légaliste et ritualiste, que l'ouvrage de Gagnon mène à une vérité. Soumis au pouvoir colonial en plus d'être insensible aux préoccupations intellectuelles et politiques de l'aile marchante du peuple, le clergé frileux du Bas-Canada préservait de l'esprit critique ses déserts pour au moins un siècle.

Collaborateur du Devoir

***

QUAND LE QUÉBEC MANQUAIT DE PRÊTRES

Serge Gagnon

PUL

Québec, 2006, 416 pages

À voir en vidéo