Gaston Miron, l'oeuvre-vie à la Grande Bibliothèque - Miron, histoire d'un poète-éditeur
Il disait écrire peu. Mais la littérature était tout pour lui. Il disait aussi que le poème l'aidait à lutter «contre son irréalité dans ce monde».
Dans un Québec littéraire en émergence, au milieu du dernier siècle, Gaston Miron aura été un phare, une voix. Et pour célébrer le dixième anniversaire de sa mort, la Grande Bibliothèque du Québec lui consacre une exposition, en même temps que paraît un livre lui rendant hommage aux Éditions de l'Hexagone, qu'il a contribué à fonder. Enfant des Laurentides, c'est au coeur même de son pays qu'il puise son oeuvre, comme une sculpture qui surgit dans la pierre brute d'un rocher.Tôt, Gaston Miron, né à Sainte-Agathe-des-Monts, est bouleversé par la découverte de l'analphabétisme de son grand-père maternel, Maxime Michaudville, dit Raymond. Un jour, cet homme lui a dit: «Quand on ne sait pas lire, on est toujours dans le noir.» «[...] batèche de mon grand-père dans le noir analphabète», écrira plus tard l'homme devenu poète. Cette découverte bouleverse son rapport à l'écriture, modèle sa nécessité de transmettre la mémoire. En même temps, il a ces mots magnifiques pour ses parents, comme un contredit: «Mon père, ma mère, vous saviez à vous deux nommer toutes choses sur terre, père, mère.» Ainsi s'échafaude lentement l'histoire d'un poète.
L'exposition parcourt les premiers écrits du jeune Gaston, son envie, dès l'âge de 14 ans, de décrire les paysages dont il est nostalgique. Au fil des pièces présentées, on s'émeut aussi devant les pages raturées de la main de Miron, qui écrira sa solitude dans Offrande d'amour ou qui frissonne dans Désemparé. Adulte, le poète reviendra caresser de sa plume les paysages en écrivant sur la vallée de la rivière Archambault, près de Sainte-Agathe des Monts, «étroite comme les hanches d'une femme maigre».
Impossible de présenter Gaston Miron sans parler d'édition, lui qui cofonde les Éditions de l'Hexagone. Sous le verre: un exemplaire de Deux sangs, le premier recueil publié à l'Hexagone, que Miron et son ami Olivier Marchand ont signé conjointement. Un parcours dans l'oeuvre du poète passe nécessairement par la contemplation de pages illustrées de livres d'artistes, qui donnent à chaque mot son poids, à chaque image son envol.
Mais, malgré le succès et la pérennité de L'Homme rapaillé, le legs de Gaston Miron n'est pas que littéraire. Épris de politique, le poète a découvert la passion d'agir aux côtés des Thérèse Casgrain, Michel Chartrand et Jacques Ferron. Une affichette témoignera donc de sa candidature dans le comté de Rosemont, sous la bannière du PSD, le Parti social-démocrate, alors dirigé par Michel Chartrand et ancêtre du Nouveau Parti démocratique.
Viennent les sombres années 1970. Comme plusieurs de ses amis artistes, Gaston Miron est arrêté sous le coup de la Loi sur les mesures de guerre durant la Crise d'octobre. Un artefact témoigne d'ailleurs des empreintes de ses mains prises par la police.
Enfin, avant de survoler les traductions en anglais, en arabe, en coréen, en italien et en espagnol des oeuvres du poète, on s'attardera un instant sur la dernière machine à écrire, sur la valise de L'Homme rapaillé, et on aura l'impression, en contemplant la large photo de son bureau en désordre, parmi les livres et les journaux en vrac, que l'artiste vient à peine de nous quitter, que l'encre de ses mots est encore fraîche sur le papier, ou mieux encore, qu'il est tout près, souriant, à nous regarder vivre en espérant.
***
Le 14 décembre, date exacte du décès de Gaston Miron, Christian Vézina et Robert Lalonde donneront «Dépareillé: hommage à Gaston Miron» à la Grande Bibliothèque du Québec.