La petite chronique - Le jeûne et la littérature
On ne vantera jamais assez l'importance des titres. Je n'aurais probablement jamais lu les livres dont il est ici question si je n'avais pas été titillé par leurs titres.
Commençons par L'homme qui jeûne. S'agissait-il, me suis-je demandé, d'une sorte de justicier pacifique préférant cette attitude de non-acceptation à l'agressivité belliciste? Le roman de Belinda Cannone retient tout de suite l'intérêt par son écriture. Il y est question d'un individu, mêlé au trafic des oeuvres d'art, qui se décide à se retirer du monde et de son corps. Il est évident que nous sommes en terrain piégé. Quiconque lirait ce roman en se référant à des critères hérités du roman psychologique serait en difficulté.Le quatrième de couverture évoque une histoire à la Borges qui évoluerait vers le roman noir. C'est à peu près juste. À cette différence près que le personnage central du roman, qui nous est décrit comme un homme peu apte à attirer notre sympathie, n'est pas non plus un être qui nous retient par un autre aspect de sa nature.
Il me semble que c'est l'écriture, heurtée, empruntant beaucoup au langage parlé, qui retient surtout l'attention. Il est long, pourtant, le jeûne qui s'étend sur vingt-neuf jours. Pour le jeûneur et pour le lecteur. En cours de lecture, ce dernier aura un plaisir certain dans la mesure où il oubliera la vraisemblance et dans la mesure aussi où il saura goûter la fascination qu'a l'auteur pour la peinture. Pour ce qui est du roman noir évoqué plus haut, mieux vaut ne pas insister.
Fascination des titres, disais-je d'entrée. Vous n'écrivez plus? demande Laurence Cossé. Il s'agit de nouvelles mettant en scène des écrivains plus ou moins arrivés, plus ou moins dans l'air du temps.
J'affirme que ces nouvelles pourront intéresser au premier chef ceux qui, sans nécessairement écrire, ont à un moment ou l'autre de leur vie été visités par cette tentation d'ajouter au trésor littéraire universel leur grain de sel.
Le style dans lequel on nous propose ces destins divers n'a rien à voir avec celui de Belinda Cannone. Je ne sais pourquoi, mais j'ai songé à Roger Grenier. Il y a dans ce livre un parfum de défaite, de résignation, qui n'est pas loin de celui qui émane des nouvelles de l'auteur du Palais d'hiver.
Moi qui ne suis au fond qu'un écrivain lecteur, j'ai lu d'une traite ce recueil. Pourquoi fais-je preuve d'humilité à ce point? C'est tout bonnement que je me rends compte que je ne peux oublier que je me sens plus à l'aise avec des tempéraments d'écrivains, leurs misères, avec ou sans s, leur inadaptation à la vie. Il y a dans ce Vous n'écrivez plus? Une constatation de l'attitude de modestie qui visite parfois l'écrivain. Si je persistais, je dirais que le roman de madame Cannone est un livre d'affirmation, alors que celui de Laurence Cossé est presque une excuse. Bien sûr, je n'avance cette explication que timidement.
Quand je lis une recension, j'aime bien qu'on m'apprenne si oui ou non on a aimé le livre. Sinon, c'est du bavardage. J'ai aimé les deux livres, mais j'ai une préférence pour le premier. À cause de l'émotion. Ce n'est pas rien, non? Quant au «jeûne» de mon titre, il s'applique à la nouvelle par rapport au roman.
Collaborateur du Devoir
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L'homme qui jeûne
Belinda Cannone
Éditions de l'Olivier
Paris, 2006, 235 pages
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Vous n'écrivez plus?
Laurence Cossé
Gallimard
Paris 2006, 199 pages