Roman québécois - Déception d'un retour au pays natal

Ils sont nombreux à avoir levé l'ancre. Migrants, cosmopolites, écrivains en rupture de ban ou réfugiés politiques, il arrive souvent que l'exil donne une couleur particulière à leur oeuvre. Cela même si l'expérience de l'art et de toute écriture, en réalité, n'est souvent rien d'autre qu'un profond exil.

Mais l'écrivain qui a dû abandonner sa terre natale se fait aussi quelquefois, un jour, au fil d'une oeuvre qui mûrit au même rythme que lui, le témoin et l'acteur de l'expérience délicate et révélatrice du retour — de l'impossible retour. C'est ce que l'on pourrait appeler «la face cachée de l'exil». Une réalité amère qu'explore dans son quatrième roman Anthony Phelps, poète, romancier et conteur né en Haïti il y a 78 ans.

Plus de vingt-cinq ans après avoir quitté son île, comme des milliers d'hommes et de femmes l'ont fait, avant ou après lui, Simon Nodier, écrivain et sculpteur d'origine haïtienne, entreprend malgré lui un pèlerinage au pays de la mémoire, des sons et des couleurs d'une enfance haïtienne. Un retour en grande partie contraint, parce que dicté par l'urgence et le devoir: une vieille tante lui annonce que son état de santé se détériore.

On s'en doute, vingt-cinq années à l'extérieur du pays ont fait de lui un étranger. La complexité des problèmes de ce «pays pourri» le dépasse. Lui qui, jusque-là, se croyait plutôt heureux dans l'espèce de réalité «neutre» où il vivait à Montréal comme au Mexique — il habite depuis une dizaine d'années une petite ville coloniale dans l'État de Guanajuato. Alors pourquoi revenir au pays? «Pourquoi mettre ma mémoire en péril? se demande-t-il. Elle contient aujourd'hui un taux élevé de mensonges que je devine. De mensonges par embellissement, par ajouts et éliminations. Elle est devenue presque une mémoire volontaire. Ce serait du masochisme que de vouloir la confronter à un présent qui ne répondrait pas à mon passé.»

La face cachée de l'exil

Bien malgré lui, Simon Nodier prend conscience que l'exil ne finit jamais. «C'est un cercle que nul ne peut briser.» L'écrivain réalise qu'il existe un autre exil que celui qui nous éloigne du pays natal: l'exil du retour. Qui fait que celui qui est parti ne pourra jamais revenir. Parce que c'est un autre que celui qui est parti qui revient en Haïti. Bruits, parfums urbains, chants ou langage: le pays a changé, il s'est peut-être dégradé, un renversement des valeurs s'est opéré. Le français a été détrôné par le créole, la culture populaire occupe aujourd'hui le premier rang. Les nouveaux riches font la loi. Et partout lui semblent régner la médiocrité, la corruption, le vide.

Là-bas, pris au piège de la réalité, dans l'ombre de «l'Annexe de l'amandier aux vieilles pierres radoteuses» où il s'est réfugié, le héros captif et désillusionné d'Anthony Phelps constate qu'il ne pourra jamais réintégrer ses souvenirs. Il avait vécu jusque-là, reconnaît-il, dans un «énorme mensonge qui me laissait croire, au plus creux de mon exil, que j'appartenais à un lieu précis que je pouvais nommer».

Alors il se remet à écrire, lui qui gardait le silence depuis trois ans, revisitant sous le mode de la fiction sa jeunesse privilégiée dans ce pays «à la double réalité». Son grand amour d'adolescence pour Mona Chalande, fille d'ambassadeur, dont le départ précipité l'a arraché à sa jeunesse. Leurs adieux inachevés. Le romancier en imaginera un remake à travers sa rencontre avec la fille de Mona, Clara Prado, une jeune galeriste haïtiano-mexicaine. Comme une tentative de réconciliation avec sa propre mémoire et avec le pays perdu — dans laquelle pointe malgré tout la tentation d'une nostalgie d'ancien régime.

Un roman sensible et lucide, où Anthony Phelps ne réinvente toutefois pas les formes, et qui rejoint en le constatant le questionnement d'Émile Ollivier: «Sa part de territoire, ne l'emporte-t-on pas partout avec soi?»

Collaborateur du Devoir

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LA CONTRAINTE DE L'INACHEVÉ

Anthony Phelps

Leméac

Montréal, 2006, 208 pages

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