Géopolitique - À la carte

Ce fascinant petit atlas géopolitique est directement inspiré d'un magazine de télévision, Le Dessous des cartes, créé à l'initiative de la chaîne de télévision franco-allemande Arte. Les cartes sont accompagnées ici de textes explicatifs percutants qui permettent «de résister aux pensées uniques». Cet atlas aborde des problèmes politiques complexes à l'aide de 350 cartes sobres et éclairantes, de commentaires qui vont à l'essentiel et de statistiques significatives portant sur 50 thèmes bien identifiés.

L'atlas est divisé en deux grandes sections: la première, «Itinéraires géopolitiques», permet de reconstituer des itinéraires pour chacune des grandes régions du monde où les auteurs ont retenu des cas d'études révélateurs et les ont largement illustrés par un ensemble de cartes. L'ambition de l'atlas est de «donner sens aux événements, de chercher l'intelligence des faits». Contrairement au téléjournal qui nous donne une image atomisée des événements, les auteurs veulent nous fournir une compréhension s'appuyant à la fois sur la géographie et sur l'histoire pour redonner une cohérence aux événements d'actualité. Ces cartes géopolitiques permettent «de replacer le fait dans sa continuité historique afin de repérer les tendances longues».

Ainsi, on présente des grands débats comme celui sur l'élargissement de l'Europe; mais on discute aussi de questions plus étonnantes, comme le cas de l'avenir de Kalingrad, cette «île» russe située en Europe. On discute des problèmes reliés à la dislocation de la Yougoslavie et de la stabilité des nouvelles républiques.

À l'aide de cartes, on suit l'évolution des frontières de la Russie en étudiant ses liens avec l'Europe. Avec 13 % des réserves mondiales de pétrole et 45 % des réserves mondiales de gaz, la Russie est un grand fournisseur. Pour illustrer ces réseaux de distribution, des cartes présentent cette «géopolitique des tubes» qui met en relief le fait que 90 % des exportations de gaz russe vers l'Europe transitent par l'Ukraine. On voit comment la Russie, pour contourner l'Ukraine qui lui impose d'importants droits de transit, utilise maintenant un oléoduc passant par la Biélorussie et la Pologne pour desservir l'Allemagne. La crise d'identité de l'Ukraine est exposée de façon tout aussi éclairante.

La politique étrangère des États-Unis est illustrée par plusieurs cartes qui décrivent ses interventions dans le monde et sa stratégie. On illustre les bases de l'installation du bouclier antimissile, mais en rappelant que, «face au sacrifice des terroristes, il est de peu d'utilité, car il n'existe pas de solution technologique ou militaire aux recherches d'identités». L'histoire de la minuscule île porte-avions Diego Garcia, l'unique base américaine au milieu de l'océan Indien, permet d'éclairer la stratégie de défense américaine au Moyen-Orient depuis la perte de son allié iranien en 1979. Cette île doit garantir leur accès au pétrole du Moyen-Orient. Sont aussi abordés le renouveau des intégrations économiques, la nouvelle puissance du Sud, le Brésil de Lula da Silva ou encore le retour des peuples indigènes.

Le Moyen-Orient, avec 64 % des réserves mondiales de pétrole dont le quart est concentré en Arabie Saoudite, demeure un «espace sous influence». L'histoire de l'unification de la péninsule arabique par les Saoud jusqu'à la création de l'État saoudien en 1932 est fort intéressante.

Les cartes sur la géographie de l'Islam permettent d'apporter beaucoup de nuances. Par exemple, sur «l'Islam juridique» on apprend que, «sur les 57 membres de l'Organisation de la conférence islamique, seulement cinq d'entre eux appliquent le droit islamique de manière stricte». Sont également bien décrits le conflit palestinien et la situation des Kurdes, cette nation sans État chevauchant trois pays. Une des cartes de l'Iran met en relief son encerclement américain par des bases ou des traités facilitant la présence militaire des États-Unis, si bien qu'elle se demande comment sa sécurité nationale peut être assurée. Parmi les itinéraires asiatiques, l'ouvrage s'attarde au contentieux du Cachemire qui oppose l'Inde et le Pakistan. Ce dernier, tout en étant allié des États-Unis, y soutient le terrorisme. L'atlas illustre également le développement économique de la Chine, deuxième importateur de pétrole au monde, et s'attarde au cas du Tibet, à l'identité confisquée, ainsi qu'aux contentieux maritimes du Japon avec ses voisins.

Les guerres et leurs mobiles

Dans la deuxième partie de l'ouvrage, «Le monde qui vient», les auteurs proposent des réflexions plus générales sur les guerres et leurs mobiles, sur l'impact de la mondialisation, sur les écarts de revenus et la répartition inégale de la production agricole sur le terrorisme, la pauvreté, les nouveaux risques de la prolifération nucléaire et s'intéresse, entre autres, au Soudan, à la violence endémique en Colombie, à la Côte d'Ivoire, «le pays aux soixante ethnies», et à l'intervention américaine en Afghanistan.

Le conflit russo-tchétchène, d'une violence extrême, dispose ici d'un traitement méticuleux. Ce peuple tchétchène, invincibles montagnards installés dans le Caucase depuis plus de 2000 ans, constitue le verrou du Nord-Caucase, qui bloque l'accès à la mer Noire aux Russes et se trouve sur le passage d'un gazoduc et d'un oléoduc russes entre la Caspienne et la mer Noire. D'une part, les Tchétchènes s'appuient sur l'islam pour conserver leur indépendance proclamée dès 1991 et, d'autre part, Moscou, humilié par sa défaite dans la première guerre de 1996, prend prétexte de lutter contre le terrorisme et l'islamisme pour s'acharner contre ce petit peuple.

Ce n'est que quelques-uns des itinéraires abordés par les auteurs. Cet atlas géopolitique original saura vous captiver si vous voulez comprendre le monde où nous vivons et anticiper celui où nous vivrons.

Collaborateur du Devoir

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