Chanson - Bien dire et mal montrer
On veut tout Nougaro, c'est entendu. Plus il est mort, plus on mord. Voilà un jeu de mots que le petit taureau toulousain, qui en était maître, eût apprécié médiocrement. N'empêche que c'est ainsi: plus il est mort, plus ça sort. Projets laissés en plan, brouillons, tout est bon à tirer puisque du Nougaro, c'est du bonbon. Exemple gratuit: «La poésie, c'est l'église des mots, eh bien moi, je suis rentré dans les ordres... » On lit ça et, c'est bien simple, on l'entend énoncer, le Nougaro, à la Nougaro, ar-ti-cu-lant cha-que syl-la-be. Avec l'accent qui cisèle et qui chante. Et l'émotion qui vous noue le garrot. S'cusez-la.
De fait, la citation est transcrite par moi, à partir d'un CD de 46 minutes et quatre secondes, extrait parmi tout un tas d'autres extraits, morceaux choisis d'une même entrevue-fleuve de sept heures menée à l'hiver 2002 chez Nougaro à Saint-Julien-le-Pauvre par le biographe de chanteurs Alain Wodrascka (Souchon, Renaud, Gainsbourg, etc.), déblayage de terrain en prévision d'un livre qui se serait appelé Dialogues «sans cible». Titre fourni par Nougaro.Le disque est en prime et le titre recyclé pour le livre-souvenir de la récente exposition de quelque 150 dessins de Nougaro, présentée ce printemps à Paris (dans l'atelier où peignait Picasso, bel honneur). À l'oreille, c'est une joie et un émoi à tous les tours et détours de phrases. «Pour moi, un poète, c'est un type qui a le sens du rythme et de la musique, c'est pas un penseur... » Au regard, c'est moins la joie et moins l'émoi. Le livre est trop petit. Et mal imprimé.
Gâchis, gaspillage, que ces reproductions miniatures, le plus souvent... illisibles. Car Nougaro casait des mots partout dans ses dessins. Même à la loupe, j'ai essayé de déchiffrer, mais généralement en vain: la mauvaise impression ne laisse que la plus mauvaise impression. Autant écouter le disque les yeux fermés. «Je suis un illuminé qui voudrait devenir lumineux... », lance Nougaro en fin de disque, se trouvant lui-même inspiré. «Ah ah, c'est pas mal!»
C'est écrit, ça s'imprime
Autant se rabattre sur un autre livre, sans la moindre illustration celui-là. Petite chose à couverture bleue (le bleu de la note bleue, suppose-t-on). C'est dit n'est jamais que l'ultime ratissage des fonds de tiroirs de Nougaro. Petit pillage dont s'excuse d'emblée le coupable David McNeil dans la préface: «Pardon donc Orgaoun [anagramme de Nougaro], pardon d'avoir fouillé tes affaires secrètes [...] éventré tes cartons, délacé les rubans de tous tes portefeuilles, fracturé tes carnets, tes cahiers, tes blocs-notes, mis au jour toutes ces choses que tu allais trier, plus tard quand ton big-band se serait résigné à faire taire tous ses cuivres.» Tout pardonné, tout excusé. Chez Nougaro, rien n'était à jeter. Et tout est musique, tellement ces mots inédits résonnent. «Baudelaire l'appelait le spleen / Ma grand-mère l'appelait cafard / et moi je l'appelle pas / il sait venir tout seul» (Blues). Page après page, ravissement après ravissement, on goûte... à goutte. Et on se met à faire du Nougaro de piéton. C'est irrépressible. Ça vient en bouche. Une telle verve fait saliver. «J'suis p'être mégalotissime / mais à travers cimes, abîmes / j'ai l'impression que Dieu me filme» (Dieu me filme). Sublimissime.
Collaborateur du Devoir
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DIALOGUES «SANS CIBLE»
Dessins inédits + archives sonores
(CD extra)
Nougaro
Éditions PC
Paris, 2006, 64 pages
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C'EST DIT
Claude Nougaro
Gallimard
Paris, 2006, 128 pages