Littérature québécoise - Intelligent, émouvant, important

Après s'être intéressé à la guerre, à l'esclavage moderne ainsi qu'à la prostitution juvénile, le journaliste et romancier Camille Bouchard pénètre au coeur d'un organisme international voué à la protection des enfants. De l'Égypte à l'Éthiopie, le lecteur suivra les aventures de quelques militants qui, à travers fusillades, traversée du désert, attentats terroristes et chagrins d'amour, tenteront de rassembler des enfants soldats de plusieurs pays en vue d'intenter un procès au Tribunal de justice international de La Haye. L'auteur signe un ouvrage non seulement captivant, mais aussi porteur d'une vérité qui doit être entendue, celle des enfants que l'on drogue, que l'on martyrise afin qu'ils en viennent à haïr le genre humain ou simplement à n'éprouver à son endroit qu'une commode indifférence qui n'oppose aucun obstacle au massacre.

L'histoire débute au Québec. Marie-Christine, jolie fille de Forestville ayant perdu deux ans auparavant son amoureux dans un accident mystérieux, trouve un jour une lettre dans les papiers de l'absent. Celle qui avait toujours refusé de croire à sa mort constate que, quelques jours avant sa disparition, l'homme avait reçu une invitation d'un organisme international basé en Égypte. Il n'en faut pas plus à la belle du Nord pour prendre l'avion à destination du pays de Cléopâtre, avec à son bras le fils adolescent de sa meilleure amie qui lui servira d'interprète et de guide. Car Raphaël est aussi cultivé et débrouillard que son physique est ingrat. L'auteur fera d'ailleurs en sorte que le jeune homme surmonte ses complexes au fil de ses aventures — faut-il vivre de telles péripéties, voir le monde et se découvrir des talents extraordinaires pour accepter de vivre avec soi-même lorsqu'on ne se conforme pas au canon de la beauté? Ce n'est là qu'une des multiples réflexions à caractère social semées subtilement dans le corps du roman.

Par un étrange concours de circonstances, les deux Québécois se retrouveront en plein coeur d'une opération secrète visant à rapatrier des enfants, issus de différents pays africains, ayant été forcés à devenir soldats. «Pour moi, la première fois [...], ce ne fut pas un combat avec les soldats ennemis. Ce fut dans un village où les gens refusaient de nous donner de la nourriture. On les a massacrés. Le commandant obligea certains d'entre nous à mutiler les cadavres, à boire le sang des victimes, à nous en recouvrir pour nous protéger, disait-il, des balles ennemies. De moi, il exigea que je tue un bébé en le tenant par les chevilles et en lui frappant la tête contre un mur de pierres», raconte un petit Soudanais sous le regard sidéré des deux Nord-Américains.

Le narrateur change constamment, alternant entre Marie-Christine et Raphaël, outre les quelques passages relatés par un narrateur omniscient. Le problème est que si l'auteur adopte le point de vue de ses différents narrateurs, il n'adopte pas pour autant leur langage. Ainsi, une infirmière de Forestville qui dialogue à grands coups de jurons s'exprimera à merveille lorsqu'elle racontera l'histoire, employant des expressions recherchées telles que «dans la pénombre vespérale». Comment un individu qui ne démontre aucune espèce de curiosité envers quoi que ce soit qui l'entoure, jusqu'à ne pas pouvoir dire si l'Égypte est encore dirigée par un pharaon, peut-il s'exprimer dans un tel langage? Il y a là un problème de crédibilité que l'on retrouve aussi dans le discours de Raphaël, qui utilise le vocabulaire d'un homme d'âge mûr plutôt que celui d'un adolescent ou même d'un jeune adulte cultivé. Autre élément qui souffre d'un problème de crédibilité: le dénouement. Celui-ci, en plus d'être quelque peu farfelu, manque d'originalité. N'en disons pas plus, au lecteur d'en juger.

Bien entendu, ces réserves n'empêchent pas d'apprécier un roman aussi riche que l'est celui de Camille Bouchard. Quelle merveilleuse façon d'employer son talent que de sensibiliser le grand public aux horreurs que vivent d'autres humains à travers un ouvrage qui n'affiche aucun excès de didactisme ou de misérabilisme! Le lecteur prendra plaisir à lire ce roman d'aventure où plane un suspense bien dosé et où les paysages exotiques sont décrits avec force détails; mais lorsqu'il refermera le livre, plutôt que de ne s'être que diverti — bénéfice indéniable mais forcément éphémère —, il aura à coeur le sort des enfants du monde et peut-être envie, qui sait, de prendre un peu plus soin de ceux qui l'entourent.

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