Littérature québécoise - Tristes banlieues

Après avoir mis fin au cycle de l'écrivain public avec La Désertion, Pierre Yergeau a pris un temps d'arrêt. Sa nouvelle oeuvre en prose en surprendra plus d'un, le romancier métaphysique se lançant cette fois dans des zones beaucoup moins erratiques que celles auxquelles il avait habitué ses lecteurs.

Loin du désert, loin de la ville et, surtout, hors de tout lieu fondateur se dresse le nouvel espace créateur de Yergeau: la banlieue. Qui l'eût cru? Celui pour qui la ville-île contenait jadis tous les réseaux de l'écriture oblige désormais sa plume à errer dans les quadrillages urbains d'un no man's land culturel. Évidemment, qui connaît un peu la fibre ironiste du romancier verra dans ce déménagement narratif une occasion rêvée de verser dans la satire. La banlieue devient, dans ce roman, un haut lieu ésotérique et un rempart xénophobe contre le cosmopolitisme ambiant; espace idéal pour une exploration fouillée de l'insignifiance.

Partant de la prémisse suivante: «La Banlieue accomplissait le désir secret des Stoïciens: évacuer la vie intérieure», le narrateur pose les bases d'un raisonnement nourri par la plus pure dérision. Mettant en scène des personnages prénommés Mc Do, Gap, Prada, Point Zéro et autre marques de commerce, il assume l'effacement de la figure humaine au profit d'une société entièrement soumise à l'économie de marché. Il ne faut pas chercher l'ombre d'une réflexion chez les protagonistes, tous sans substance parce que manipulés par la dictature du vide. Consommer est leur seule devise, un rituel qu'ils accomplissent en choeur et qui se substitue à l'office religieux d'autrefois.

La télévision et l'ordinateur deviennent dès lors les seuls vecteurs de communication dans une microsociété qui cohabite sans s'adresser la parole, le moindre geste sensible étant nécessairement interprété comme une agression. «Pas de ces gens étranges des villes qui se prennent pour d'autres! Pas de ces gosses qui fouillent dans les ordures! Qui flinguent les vieillards! Les gens ordinaires se réunissaient dans la Banlieue en ne souhaitant qu'une chose: que le reste du monde les ignore!»

Grossissant tous les travers des habitants de la banlieue puis les scrutant impitoyablement à la loupe, le narrateur en vient même à permuter les variables du contenu et du contenant. La Banlieue prend vie, acquiert une existence propre et intervient à la place de ses citoyens qui, devant l'effritement de leur identité, n'ont d'autre choix que de se soumettre aveuglément au diktat de leur terre nourricière. «La Banlieue distribuait le sens avec une incomparable équité. Elle laissait intactes, dans l'ombre, les tours circulaires où erraient les guerriers aveugles durant les nuits sans lune.»

Si Yergeau aborde, dans Banlieue, ses thèmes de prédilection et qu'il continue à interroger la volonté humaine avec la même acuité, il amorce visiblement un nouveau cycle romanesque. Poussant à ses limites l'étroite parenté qui unit réalisme et satire, il signe ici une oeuvre ancrée dans l'univers contemporain mais jamais terre à terre.

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