L'aire des idées - L'après-Enron, l'ADQ et l'avion du Pentagone
Pourfendeur du néolibéralisme et du management dit «à l'américaine», Omar Aktouf est un oiseau rare dans le domaine de la gestion. Professeur à l'École des hautes études commerciales, mais néanmoins néomarxiste, il s'attaque, dans Stratégie de l'autruche, aux idéologies qui organisent la mondialisation sur la seule idée du marché libre. Depuis le 11 septembre 2001, Aktouf a opté pour une position radicalement à gauche et d'inspiration tiers-mondiste, laquelle lui fait parfois prendre des voies très controversées: il partage notamment certains soupçons de Thierry Messan, auteur de L'Effroyable Imposture,qui a nié la présence d'un troisième avion dans l'attentat contre le Pentagone.
Le Devoir. Depuis les scandales WorldCom, Enron, Arthur Andersen, Vivendi, etc., on aurait pu penser que le mythe du «privé» — gestion rigoureuse, moins coûteuse — serait entamé. Or les deux partis susceptibles de prendre le pouvoir au Québec prennent encore le privé pour modèle absolu. Qu'en pensez-vous?Omar Aktouf. Quand des Mario Dumont proposent des idées qui devraient être aux poubelles de l'histoire, je trouve ça révoltant. Elles ont ruiné la Nouvelle-Zélande et l'Angleterre, laquelle est sinistrée sur le plan des chemins de fer et celui des systèmes de santé et d'éducation. Il semble que les électeurs soient encore séduits par des discours anti-État. Sans doute parce qu'on ne leur présente pas l'État comme une institution qui doit garantir la dignité du citoyen et l'intégrité du territoire contre toute forme d'intérêt quel qu'il soit.
Le Devoir. Il y a des exemples de ce que vous prônez?
Omar Aktouf. Oui. Notamment la Scandinavie. Quand Mario Dumont fait des rapprochements entre son programme et la Suède, je suis désolé, mais il ne sait pas de quoi il parle! On reste stupéfait en plus de voir le Parti libéral et le Parti québécois rivaliser de dumontisme au lieu de se démarquer. Ils disent mollement: nous tenons au système de santé public, etc. Mais quand on regarde leurs mesures concrètes, quelles sont-elles? Le PQ a mis de l'argent dans les poches de M. Malenfant alors que ce dernier ruinait les syndiqués québécois.
Le Devoir. Mais le PQ a instauré l'assurance-médicaments et les garderies à 5 $ tout en réduisant le déficit.
Omar Aktouf. C'est du colmatage, des sparadraps. Le PQ permet que M. Desmarais ne paie pas d'impôt ou presque, comme toutes les grandes fortunes québécoises. Lisez Profits privés, finances publiques de Léo-Paul Lauzon. Il n'y a que le petit contribuable qui paie, indéfiniment. Qu'on aille chercher l'argent où il est! En fiducie familiale, les Desmarais, Péladeau, Bromfman, etc., ont amplement de quoi régler le problème du système de santé!
Le Devoir. Votre groupe de recherche se nomme Humanisme et gestion. Est-ce à dire que l'autre gestion, celle que vous critiquez dans votre livre, est anti-humaniste?
Omar Aktouf. Mon dernier chapitre est un plaidoyer pour l'humanisme dans son sens profond et originel: faire des choses qui ont un sens pour l'être humain. Qu'est-ce que l'être humain? Je réponds avec Aristote que l'humain est sociable, a besoin de ses semblables. À partir de cela, je plaide pour une gestion qui soit au service de la communauté. On voit tout de suite que les Bill Gates ne respectent pas ce principe. Gates possède à lui seul l'équivalent des avoirs de 110 millions d'Américains: c'est hallucinant! L'être humain est complètement perdu là-dedans.
Le Devoir. Certains prétendent qu'avec les derniers scandales, des changements réels sont à prévoir.
Omar Aktouf. Tout ce qui est fait aujourd'hui: les lois, les p.-d.g. menottés, les tribunaux, c'est pour le cinéma. Si la Maison-Blanche veut mettre fin à ces pratiques de haut gangstérisme, il faudrait que Bush et Cheney se mettent eux-mêmes en prison! Ce sont les limites du système.
Le Devoir. Votre antiaméricanisme est virulent.
Omar Aktouf. Je réfute le terme d'antiaméricanisme. Je suis anti-administration américaine. Le peuple américain, ce n'est pas sa faute, il est aussi désinformé que le reste du monde.
Le Devoir. Enfin, après le 11 septembre, vous êtes allé très loin en disant que les Américains avaient carrément «cherché» ce qui leur arrivait. Dans un autre article, vous avez presque accrédité les thèses folles de Thierry Messan [selon qui aucun avion ne s'est effondré sur le Pentagone].
Omar Aktouf. Je n'ai même pas attendu Messan pour dire ce que je pensais. Au lendemain des attentats, à Droit de parole à Télé-Québec, j'ai dit mon impression que le FBI et la CIA nous prennent pour des imbéciles. Une voiture de location dans laquelle on retrouve un manuel de pilotage en arabe, ça ne tient pas debout! Certes, les thèses du complot avancées par Messan relèvent de la science-fiction. Mais c'est autre chose. Parlons des faits: je serai prêt à admettre qu'un avion est tombé sur le Pentagone quand on me montrera comment un 757 de cette envergure, de cette taille, de cette hauteur...
Le Devoir. Mais voyons, il y a des témoins oculaires! Et où il est donc, l'avion détourné, s'il n'est pas allé sur le Pentagone?
Omar Aktouf. C'est la question que je pose! Il y a quelques années, le même type d'accident s'est produit à Amsterdam. Un 747, plein de kérosène, comme le soi-disant 757 du Pentagone, s'est écrasé contre un immeuble. Il n'y a pas eu d'explosion, l'immeuble ne s'est pas effondré et il y a des débris à 10 kilomètres à la ronde: chaussures, valises, etc.
Le Devoir. Quand même! Dans L'Effroyable Mensonge (La découverte), la réponse à Messan, on explique que lorsqu'un avion de cette taille entre à angle presque droit dans une structure très rigide, celui-ci se consume littéralement dans un trou qui n'est pas très grand. Comme l'avion de Pennsylvanie. Des spécialistes en crash l'ont expliqué très clairement!
Omar Aktouf. Mais les mêmes ingénieurs ont expliqué le contraire à Messan, qui vient de sortir la réponse à la réponse! Et c'est déjà suspect de voir que celui qui accuse Messan, Guillaume Dasquié, a écrit il y a de cela deux ans Ben Laden, la vérité interdite où il critiquait très durement les États-Unis.
Le Devoir. Mais M. Aktouf, qu'est-ce qui a détruit une partie du Pentagone, alors? Vous ne me direz quand même pas que c'est un camion piégé ou un missile, c'est absurde!
Omar Aktouf. Je demande simplement à ceux qui me disent que c'est un avion de m'expliquer comment un 757 a fait ça. Comment il a fait un trou de 10 mètres de profondeur, ce qui correspond seulement au nez de l'avionÉ
Le Devoir. 19 mètres, c'est ce que j'ai lu, moi.
Omar Aktouf. Non... Ah oui, 19 mètres de largeÉ Mais 10 mètres de haut. En tout cas, moi, je demande qu'on m'explique. Pourquoi la pelouse, les lampadaires, sont-ils intacts, juste devant? On nous dit qu'il est tombé à l'horizontal, mais que l'effet a été semblable à une chute verticale! Ce sont des insultes à l'intelligence! Je suis prêt à admettre que ce sont des avions. Mais qu'on m'explique pourquoi, alors, dans le World Trade Center, le trou du premier impact est infiniment plus petit que l'autre et, ensuite, pourquoi il n'est pas suivi d'une explosion comme l'avion de la deuxième tour.
Le Devoir. Mais voyons, on l'a sur vidéo, le premier avion! Il y a bien une explosion!
Omar Aktouf. Ah, mais ça ne peut pas être un 767. Or on nous dit que c'en est un!
Le Devoir. Iriez-vous aussi loin que Toni Negri, auteur d'Empire [avec Michael Hardt, Éd. Exils, Paris, 2001], ancien théoricien des Brigades rouges. Il dit: «J'aurais été bien plus content si, le 11 septembre, le Pentagone avait été mis à terre et s'ils n'avaient pas raté la Maison-Blanche — au lieu de voir s'effondrer les Twin Towers remplies de milliers de travailleurs américains, parmi lesquels, paraît-il, se trouvaient presque un millier de clandestins.»
Omar Aktouf. Oui, si on a à choisir dans la monstruosité, si on a à choisir entre des tours pleines de civils et Washington, où il y a des Condoleezza Rice, des Dick Cheney et des George Bush II, moi, je choisis Washington. C'est clair. Ça ne veut pas dire que je partage tout avec Negri.
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LA STRATÉGIE DE L'AUTRUCHE
Post-mondialisation, management et rationalité économique
Omar Aktouf
Écosociété
Montréal, 2002, 376 pages
Dans le cadre du Festival du monde arabe, Omar Aktouf débattra avec Michel Seymour, le vendredi 8 novembre à 18h30, à la Bibliothèque nationale, au 1700 de la rue Saint-Denis.