Bédé - Les Beatles ou la vie?

Ce n'est pas l'histoire des Beatles en bédé. C'est la chronique du quotidien de Manu, petit fonctionnaire à lunettes dans la trentaine, ado attardé comme ses potes, Greg l'anesthésiste «assommant», Boulette le thanatopracteur qui tripote les seins des jolies mortes, Samuel l'inspecteur de la P.J. Fadas de pop des années 60, ils ratissent les vide-greniers, s'inquiètent de la fermeture prochaine de leur disquaire d'occasion préféré, débattent du fiasco des sessions de Let It Be (dû à la présence de Yoko, selon Samuel; à «l'ego démesuré de Paul», soutient Boulette), quand ils ne causent pas d'amour et de cul. Car chacun a une copine qui en a un peu marre de leur trame sonore ininterrompue. Événement: Manu va se marier avec Emily, qui rêve d'un voyage de noces dans les steppes de Mongolie, là où il n'y a pas de disquaire. Des doutes surgissent.

Point de départ assez fascinant pour bibi: peut-on allier indéfiniment trip de musique entre copains et vie de couple? Cette question, le scénariste et dessinateur Christopher, dont l'oeuvre mineure mais assez soutenue — une quinzaine d'albums en douze ans chez divers éditeurs — est majoritairement consacrée à ces portraits de gars et de filles de son âge (Les Colocataires, Les Filles), se propose de l'explorer en quatre volumes, narrés tour à tour par Manu, Greg, Boulette et Sam sur les airs des Beatles, des Stones, des Who et des Kinks. Vaste projet, dont l'intérêt risque fort de s'étioler en cours de route, à en juger par ce Love Song T. 1 à la fois séduisant, sympathique et insatisfaisant.

Car si le dessin (fort agréable, dans la foulée d'un Serge Clerc) fourmille de chouettes clins d'oeil destinés aux collectionneurs de disques, et si l'histoire, divisée en dix chapitres chapeautés par autant de chansons des Beatles, ne manque pas de rebondissements bien trouvés, le dialogue est franchement lourdaud. La part nostalgique n'a pas la justesse de ton d'un Rabagliati (Paul a un appartement), et la part réaliste n'a pas la rude authenticité d'un Baru (Quéquette blues). Les copains et copines sont certes attachants, mais on a deux fois par planche l'impression d'être dans un mauvais film de Rohmer tellement les interventions de chacun semblent artificiellement juxtaposées. Dommage. Pour fadas finis seulement.

Collaborateur du Devoir

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