Forêt: les Innus contre-attaquent

Québec — Les Innus de Pessamit vont s'adresser à la Cour suprême pour faire interdire la cueillette de bois brûlé sur l'île René-Levasseur, au nord de Baie-Comeau, et menacent du même coup de faire cesser toutes les opérations de coupe sur un territoire nordique de 15 000 km2.

«Dorénavant, l'exploitation des ressources naturelles ne pourra plus se faire sans tenir compte des droits des autochtones, au Québec», a dit le chef du Conseil des Innus de Pessamit, Raphaël Picard, lors d'une conférence de presse, hier, à Québec.

En outre, les autochtones s'apprêtent à demander à la Cour suprême du Canada de casser la décision du juge André Rochon de la Cour d'appel, qui a autorisé, le 6 juillet dernier, le procureur général du Québec à en appeler de l'ordonnance de sauvegarde obtenue trois semaines plus tôt par les Innus.

En vertu de cette ordonnance, la compagnie Kruger ne peut plus exercer ses activités régulières sur l'île René-Levasseur, une terre de 2000 km2 sise au milieu du réservoir Manicouagan, jusqu'à ce que la Cour supérieure se prononce sur les revendications territoriales des Innus, le 1er décembre prochain. Mais la Cour d'appel a par la suite taillé une brèche dans cette ordonnance, permettant à Kruger de récupérer, sur l'île, le bois déjà coupé ou endommagé par les incendies de juin dernier. Aussi, les procureurs des Innus déposeront une seconde requête devant le plus haut tribunal du pays pour qu'il renverse également cette décision.

Il n'est pas question de sacrifier davantage l'écosystème de l'île aux impératifs du marché, même s'il s'agit de bois brûlé ou déjà coupé, a fait valoir le chef Picard. «La récolte du bois brûlé constitue une exploitation qui implique des aménagements forestiers. Le milieu physique de l'île peut être détérioré si Kruger envoie une armada [récolter le bois]. L'aménagement de 50 km de chemins forestiers, ça brise beaucoup», a-t-il expliqué en substance. Qui plus est, le bois brûlé laissé sur place a des vertus écologiques non négligeables, puisqu'il favorise le renouvellement naturel de la faune et de la flore ainsi que le maintien de la biodiversité, font remarquer les Innus.

Aux requêtes devant la Cour suprême, s'en ajoute une autre qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur les activités forestières sur la Côte-Nord. En effet, la Première Nation de Pessamit espère obtenir de la Cour d'appel une nouvelle ordonnance de sauvegarde qui s'appliquerait cette fois non seulement à l'île René-Levasseur, mais à l'ensemble de l'aire commune 093-20, un territoire de coupe couvrant une superficie de près de 15 000 km2.

«Une cinquantaine de compagnies forestières vont bientôt recevoir une mise en demeure», a dit M. Picard, qui veut contraindre les forestières actives sur «le territoire ancestral» innu à consulter les autochtones avant d'exploiter les ressources naturelles.

Il ne s'agit pas de stopper le développement économique régional, a insisté le leader innu, conscient que les démarches juridiques entreprises par les siens auront pour effet d'accroître encore davantage les tensions entre les travailleurs forestiers et les communautés amérindiennes de la Côte-Nord. Mais ceux qui font de la «propagande haineuse» sont minoritaires, a-t-il insisté. «Si vous saviez combien de gens sur la Côte-Nord, des gens qui ne vivent pas de la forêt, appuient notre démarche. Beaucoup pensent la même chose que nous mais demeurent silencieux.»

L'idée derrière cette nouvelle croisade est d'amener les gouvernements et les compagnies forestières à respecter l'obligation constitutionnelle qu'ils ont de «consulter et d'accommoder» les populations aborigènes, une obligation qu'ils ont bafouée pendant des décennies, a soutenu M. Picard. «Nous voulons que le Québec nous écoute, que l'on puisse faire du développement économique d'une façon civilisée, en tenant compte des droits des aborigènes et de la pérennité de la forêt», a-t-il souligné.

Virage

Au ministère des Ressources naturelles, un porte-parole du ministre Pierre Corbeil a mentionné que la décision des Innus était décevante et surprenante. «Il y a quelques jours encore, le chef Picard semblait plutôt favorable à la récolte du bois brûlé. Ce virage à 180 degrés est surprenant», a dit Mathieu Saint-Amant, au nom du ministre Corbeil. «Ce qui est désolant, c'est que la ressource va se perdre», a-t-il poursuivi, rappelant aussi que Kruger avait annoncé la mise à pied de plus de 150 travailleurs dans les jours suivant l'ordonnance de sauvegarde.

Par ailleurs, même si elle disposait d'un sursis de la Cour d'appel pour le faire, Kruger n'a pas encore commencé à récupérer le bois brûlé qui couvre de larges secteurs de l'île en raison d'une nouvelle vague de feux qui y fait rage. Du reste, la compagnie n'a pas voulu commenter le nouvel épisode de la croisade menée contre elle par les Innus.

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