Un portrait du «Coriolis II»

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Yvon Couillard, pêcheur à la retraite, est devenu matelot sur le «Coriolis II».

Yvon Couillard, un vieux loup de mer de la Gaspésie, pêcheur de morue, puis de crevette, a pris sa retraite il y a quelques années. Mais, ne pouvant tenir en place, il s’est trouvé un passe-temps : devenir matelot sur un navire scientifique, le Coriolis II. Après une longue journée de travail, le solide gaillard à la barbe blanche vient se poster sur le pont arrière. D’un oeil détendu, il observe les moussaillons universitaires à l’oeuvre.

« C’est le fun de travailler avec des jeunes », dit-il. La lumière tombe tranquillement sur le Saguenay. Il s’émerveille de redécouvrir la mer, qu’il connaît si bien, à travers les yeux des étudiants-chercheurs. M. Couillard avait commencé à pêcher avec son père, à l’époque où la morue était encore abondante. « Regarde ça, si c’est pas beau ! s’interrompt-il quand le paysage du fjord le frappe. Je ne suis jamais venu ici. Regarde ce que les glaciers ont fait. »

Depuis 2002, le Coriolis II est le théâtre de deux mondes bien différents qui se rencontrent : celui des marins et celui des scientifiques. Matelots, officiers, ingénieurs, chercheurs, professeurs, techniciens et étudiants travaillent ensemble, mangent ensemble, affrontent la houle ensemble. Ils sont littéralement dans le même bateau. Différents à bien des égards, ils partagent toutefois un amour commun : la mer.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le pont arrière est le centre névralgique des opération scientifiques. C'est d'ici que les marins activent les grues qui permettent de manipuler le matériel scientifique.

Jusqu’à 28 personnes à bord

Le Coriolis II, construit en 1990-1991 pour la Garde côtière canadienne, servait à l’origine à faire de la patrouille et des sauvetages sur la côte ouest. En 2001, il a été racheté par des universités québécoises, qui l’ont transformé en un navire de recherche scientifique. Il appartient aujourd’hui à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), mais sert à des chercheurs et à des clients de différentes institutions et entreprises. La société à but non lucratif Reformar en assure l’exploitation pour le compte de l’UQAR.

Au moment du passage du Devoir à bord du Coriolis II, le navire accueillait 13 membres d’équipage, 12 scientifiques et deux journalistes. Deux étages sont consacrés aux cabines, à la cuisine, aux aires de repos et aux laboratoires. Au-dessus se dresse la timonerie, d’où les pilotes disposent de la meilleure vue. Au-dessous se trouvent la salle des machines et ses quatre moteurs. Deux hélices et deux gouvernails rendent le bateau de 50 mètres particulièrement manoeuvrable. Lorsqu’il fait le plein de nourriture et d’essence, il peut demeurer 30 jours en mer.

Depuis sa conversion scientifique, le navire — nommé en l’honneur du mathématicien français Gaspard-Gustave Coriolis — sert à mesurer les variables océanographiques de base du Saint-Laurent : température, salinité, concentration en oxygène, etc. Il est également utilisé pour des missions spéciales — par exemple, observer les baleines noires qui remontent dans le golfe. Plus tôt cet été, le ministère fédéral Pêches et Océans a loué le navire pour ausculter le golfe, à la recherche d’oeufs de maquereau. Hydro-Québec a déjà recouru à ses services pour vérifier s’il était possible de déposer un câble au fond de l’eau.

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Ce texte est publié via notre section Perspectives.

« Je crois que le Coriolis est le bateau de recherche le plus important au Québec », affirme le capitaine, Robert Bélanger, depuis la timonerie. Il y a bien sûr le NGCC Amundsen, un brise-glace scientifique basé à Québec, mais celui-là prend habituellement le chemin de l’Arctique en été. Le Coriolis II, quant à lui, fait de l’estuaire, du golfe et du fjord son principal terrain de jeu.

L’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER) de l’UQAR réserve régulièrement le navire pour former ses étudiants. « C’est une école très importante pour l’océanographie », explique Maude Boissonneault, coordonnatrice des missions scientifiques au Réseau Québec maritime, elle-même diplômée de l’ISMER. Les étudiants au baccalauréat passent une journée en mer ; ceux à la maîtrise, quelques jours. Ils ont la chance d’y manipuler les filets, la rosette ou les carottiers.

Plaisirs de marins

L’équipage du Coriolis II travaille intensément durant l’été, et moins en hiver, quand le navire hiverne à Dartmouth, près de Halifax. « C’est vraiment plus le fun que dans la marine commerciale, c’est pas mal plus valorisant », explique le jeune officier Thomas Gil-Da-Rocha durant la traversée Cacouna-Tadoussac. Sur ce navire où tout se déroule en français, il se sent « à la maison ». « Avec un équipage anglophone, c’est pas les mêmes jokes, c’est pas les mêmes références culturelles, fait-il remarquer. Avant, j’ai travaillé sur des cargos et des pétroliers. C’était simplement une job. Ici, chaque mission est une aventure. »

Le filet à planctons descend à plus de 100 mètres de pronfondeur.

Le capitaine Bélanger aime beaucoup manoeuvrer le Coriolis II pour répondre aux besoins parfois particuliers des scientifiques. « Ça demande une dextérité, et puis ça crée un sentiment de satisfaction », dit ce marin d’expérience, qui navigue depuis 1975. Il s’agit pour ce natif de L’Isle-Verte d’un boulot de retraite qui l’occupe quelques semaines par année. M. Bélanger garde de bons souvenirs des missions destinées à confirmer la présence d’épaves grâce à des sondeurs et à de petits sous-marins.

L’air de rien, le Coriolis II se fait vieillissant. Son propriétaire est donc à la recherche d’un remplaçant d’ici cinq ans. Le navire idéal serait un peu plus grand et disposerait d’une coque plus épaisse lui permettant de naviguer dans le golfe et l’estuaire en hiver. Peut-être y aura-t-il quelques « pincements de coeur » quand le navire bleu et jaune prendra sa retraite, croit Mme Boissonneault, « mais je pense que tout le monde va être content de voir arriver un nouveau bateau avec de l’équipement scientifique à la fine pointe de la technologie ».



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